羊脂球·Boule de Suif (de Guy de Maupassant莫泊桑) 汉法双语

Posted by 橙叶 on Fri, Feb 3, 2017

Résumé(简介)

L'histoire se déroule pendant la guerre de 1870, en plein hiver et débute par le repli des troupes françaises et l'envahissement de Rouen par les prussiens. C'est à bord d'une diligence tirée par six chevaux que l'héroïne, baptisée par l'auteur "Boule de suif" et neuf autres personnes s'enfuient vers Dieppe. Il y a là un couple de commerçants, deux couples de la bourgeoisie et de la noblesse, deux religieuses, un démocrate, et Boule de suif, une femme galante, dont la présence soulève la méfiance, l’indignation ou la curiosité.

Le voyage s’annonce difficile, le froid est vif. La neige ralentit la progression de la diligence. Les voyageurs ont faim. Seule, Boule de Suif a pensé à emporter des provisions qu’elle partage volontiers avec ses compagnons de voyage. Ceux-ci n’hésitent pas alors à oublier provisoirement leurs préjugés pour bénéficier de la générosité de la passagère.

Le soir, la diligence s’arrête pour une étape à l’auberge de Tôtes. Celle-ci est occupée par les Prussiens. L’officier prussien interdit à la diligence de repartir tant que Boule de suif na pas accepté ses avances. Avant le souper elle est appelée à le rejoindre mais refuse. Bonapartiste, elle n’accepte pas de coucher avec l'ennemi.

Les passagers restent bloqués la journée à l'auberge et réalisent que l'officier prussien ne les laissera partir que lorsque Boule de suif se sera offerte à lui. Chacun y va alors de son argument pour convaincre la jeune femme d’accepter de se sacrifier.

Elle passe la nuit avec l'officier et ils partent au petit matin.

Tous se sont fait préparer des petits plats sauf Boule de Suif qui n'a pas eu le temps.

Quand arrive l’heure du repas, les voyageurs se régalent mais personne ne partagera son repas avec Boule de Suif. Elle n’aura droit qu’au mépris de la part de cette micro-société bien pensante, qu’elle a nourrie puis libérée.

大意:一八七O年普法战争爆发,普鲁士军队攻占了鲁昂城,有十个人同坐一辆马车出逃。这十个人的身份很是特殊,分别是臭名昭著的奸商鸟先生和他的太太;大资产阶级、省议会议员卡雷·拉马东夫妇;省议会议员贝尔·德·布雷维尔伯爵夫妇;两个修女;民主党人科尔尼代和一个绰号叫“羊脂球”的妓女。前面三对夫妇离开鲁昂的原因各不相同,但计划和目的却是一致的—这三对夫妇都不会回鲁昂了。十个人中最没有地位的是“羊脂球”。

Texte Intégral(全文)

Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d'armée en déroute avaient traversé la ville. Ce n'était point de la troupe, mais des hordes débandées. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avançaient d'une allure molle, sans drapeau, sans régiment. Tous semblaient accablés, éreintés, incapables d'une pensée ou d'une résolution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sitôt qu'ils s'arrêtaient. On voyait surtout des mobilisés, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil; des petits moblots alertes, faciles à l'épouvante et prompts à l'enthousiasme, prêts à l'attaque comme à la fuite; puis, au milieu d'eux, quelques culottes rouges, débris d'une division moulue dans une grande bataille; des artilleurs sombres alignés avec ces fantassins divers; et, parfois, le casque brillant d'un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus légère des lignards.

Des légions de francs-tireurs aux appellations héroïques: “les Vengeurs de la défaite - les Citoyens de la tombe - les Partageurs de la mort” - passaient à leur tour, avec des airs de bandits.

Leurs chefs, anciens commerçants en drap ou en graines, ex-marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance, nommés officiers pour leurs écus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d’armes, de flanelle et de galons, parlaient d’une voix retentissante, discutaient plans de campagne , et prétendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs épaules de fanfarons; mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves à outrance, pillards et débauchés.

Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on.

La Garde nationale qui, depuis deux mois, faisait des reconnaissances très prudentes dans les bois voisins, fusillant parfois ses propres sentinelles, et se préparant au combat quand un petit lapin remuait sous des broussailles, était rentrée dans ses foyers. Ses armes, ses uniformes, tout son attirail meurtrier, dont elle épouvantait naguère les bornes des routes nationales à trois lieues à la ronde, avaient subitement disparu.

Les derniers soldats français venaient enfin de traverser la Seine pour gagner Pont-Audemer par Saint-Sever et Bourg-Achard; et, marchant après tous, le général désespéré, ne pouvant rien tenter avec ces loques disparates, éperdu lui-même dans la grande débâcle d’un peuple habitué à vaincre et désastreusement battu malgré sa bravoure légendaire, s’en allait à pied, entre deux officiers d’ordonnance.

Puis un calme profond, une attente épouvantée et silencieuse avaient plané sur la cité. Beaucoup de bourgeois bedonnants, émasculés par le commerce, attendaient anxieusement les vainqueurs, tremblant qu’on ne considérât comme une arme leurs broches à rôtir ou leurs grands couteaux de cuisine.

La vie semblait arrêtée; les boutiques étaient closes, la rue muette. Quelquefois un habitant, intimidé par ce silence, filait rapidement le long des murs.

L’angoisse de l’attente faisait désirer la venue de l’ennemi.

Dans l’après-midi du jour qui suivit le départ des troupes françaises, quelques uhlans, sortis on ne sait d’où, traversèrent la ville avec célérité. Puis, un peu plus tard, une masse noire descendit de la côte Sainte-Catherine, tandis que deux autres flots envahisseurs apparaissaient par les routes de Darnetal et de Boisguillaume. Les avant-gardes des trois corps, juste au même moment, se joignirent sur la place de l’Hôtel-de-Ville; et, par toutes les rues voisines, l’armée allemande arrivait, déroulant ses bataillons qui faisaient sonner les pavés sous leur pas dur et rythmé.

Des commandements criés d’une voix inconnue et gutturale montaient le long des maisons qui semblaient mortes et désertes, tandis que, derrière les volets fermés, des yeux guettaient ces hommes victorieux, maîtres de la cité, des fortunes et des vies, de par le “droit de guerre”. Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient l’affolement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la même sensation reparaît chaque fois que l’ordre établi des choses est renversé, que la sécurité n’existe plus, que tout ce que protégeaient les lois des hommes ou celles de la nature, se trouve à la merci d’une brutalité inconsciente et féroce. Le tremblement de terre écrasant sous des maisons croulantes un peuple entier; le fleuve débordé qui roule les paysans noyés avec les cadavres des boeufs et les poutres arrachées aux toits, ou l’armée glorieuse massacrant ceux qui se défendent, emmenait les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remerciant un Dieu au son du canon, sont autant de fléaux effrayants qui déconcertent toute croyance à la justice éternelle, toute la confiance qu’on nous enseigne en la protection du ciel et en la raison de l’homme.

Mais à chaque porte des petits détachements frappaient, puis disparaissaient dans les maisons. C’était l’occupation après l’invasion. Le devoir commençait pour les vaincus de se montrer gracieux envers les vainqueurs.

Au bout de quelque temps, une fois la première terreur disparue, un calme nouveau s’établit. Dans beaucoup de familles, l’officier prussien mangeait à table. Il était parfois bien élevé, et, par politesse, plaignait la France, disait sa répugnance en prenant part à cette guerre. On lui était reconnaissant de ce sentiment; puis on pouvait, un jour ou l’autre, avoir besoin de sa protection. En le ménageant on obtiendrait peut-être quelques hommes de moins à nourrir. Et pourquoi blesser quelqu’un dont on dépendait tout à fait? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la témérité. - Et la témérité n’est plus un défaut des bourgeois de Rouen, comme au temps des défenses héroïques où s’illustra leur cité. - On se disait enfin, raison suprême tirée de l’urbanité française, qu’il demeurait bien permis d’être poli dans son intérieur pourvu qu’on ne se montrât pas familier, en public, avec le soldat étranger. Au dehors on ne se connaissait plus, mais dans la maison on causait volontiers, et l’Allemand demeurait plus longtemps, chaque soir, à se chauffer au foyer commun.

La ville même reprenait peu à peu de son aspect ordinaire. Les Français ne sortaient guère encore, mais les soldats prussiens grouillaient dans les rues. Du reste, les officiers de hussards bleus, qui traînaient avec arrogance leurs grands outils de mort sur le pavé, ne semblaient pas avoir pour les simples citoyens énormément plus de mépris que les officiers de chasseurs, qui, l’année d’avant, buvaient aux mêmes cafés.

Il y avait cependant quelque chose dans l’air, quelque chose de subtil et d’inconnu, une atmosphère étrangère intolérable, comme une odeur répandue, l’odeur de l’invasion. Elle emplissait les demeures et les places publiques, changeait le goût des aliments, donnait l’impression d’être en voyage, très loin, chez des tribus barbares et dangereuses.

Les vainqueurs exigeaient de l’argent, beaucoup d’argent. Les habitants payaient toujours; ils étaient riches d’ailleurs. Mais plus un négociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu’il voit passer aux mains d’un autre.

Cependant, à deux ou trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivière, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les pêcheurs ramenaient souvent du fond de l’eau quelque cadavre d’Allemand gonflé dans son uniforme, tué d’un coup de couteau ou de savate, la tête écrasée par une pierre, ou jeté à l’eau d’une poussée du haut d’un pont. Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.

Car la haine de l’étranger arme toujours quelques intrépides prêts à mourir pour une Idée.

Enfin, comme les envahisseurs, bien qu’assujettissant la ville à leur inflexible discipline, n’avaient accompli aucune des horreurs que la renommée leur faisait commettre tout le long de leur marche triomphale, on s’enhardit, et le besoin du négoce travailla de nouveau le coeur des commerçants du pays. Quelques-uns avaient de gros intérêts engagés au Havre que l’armée française occupait, et ils voulurent tenter de gagner ce port en allant par terre à Dieppe où ils s’embarqueraient.

On employa l’influence des officiers allemands dont on avait fait la connaissance, et une autorisation de départ fut obtenue du général en chef.

Donc, une grande diligence à quatre chevaux ayant été retenue pour ce voyage, et dix personnes s’étant fait inscrire chez le voiturier, on résolut de partir un mardi matin, avant le jour, pour éviter tout rassemblement.

Depuis quelque temps déjà la gelée avait durci la terre, et le lundi, vers trois heures, de gros nuages noirs venant du nord apportèrent la neige qui tomba sans interruption pendant toute la soirée et toute la nuit.

A quatre heures et demie du matin, les voyageurs se réunirent dans la cour de l’hôtel de Normandie, où l’on devait monter en voiture.

Ils étaient encore pleins de sommeil, et grelottaient de froid sous leurs couvertures. On se voyait mal dans l’obscurité; et l’entassement des lourds vêtements d’hiver faisait ressembler tous ces corps à des curés obèses avec leurs longues soutanes. Mais deux hommes se reconnurent, un troisième les aborda, ils causèrent: “J’emmène ma femme, dit l’un. - J’en fais autant. - Et moi aussi.” Le premier ajouta: “Nous ne reviendrons pas à Rouen, et si les Prussiens approchent du Havre nous gagnerons l’Angleterre.” Tous avaient les mêmes projets, étant de complexion semblable.

Cependant on n’attelait pas la voiture. Une petite lanterne, que portait un valet d’écurie, sortait de temps à autre d’une porte obscure pour disparaître immédiatement dans une autre. Des pieds de chevaux frappaient la terre, amortis par le fumier des litières, et une voix d’homme parlant aux bêtes et jurant s’entendait au fond du bâtiment. Un léger murmure de grelots annonça qu’on maniait les harnais; ce murmure devint bientôt un frémissement clair et continu rythmé par le mouvement de l’animal, s’arrêtant parfois, puis reprenant dans une brusque secousse qu’accompagnait le bruit mat d’un sabot ferré battant le sol.

La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois, gelés, s’étaient tus: ils demeuraient immobiles et roidis.

Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre; il effaçait les formes, poudrait les choses d’une mousse de glace; et l’on n’entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l’hiver, que ce froissement vague, innommable et flottant de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit , entremêlement d’atomes légers qui semblaient emplir l’espace, couvrir le monde.

L’homme reparut, avec sa lanterne, tirant au bout d’une corde un cheval triste qui ne venait pas volontiers. Il le plaça contre le timon, attacha les traits, tourna longtemps autour pour assurer les harnais, car il ne pouvait se servir que d’une main, l’autre portant sa lumière. Comme il allait chercher la seconde bête, il remarqua tous ces voyageurs immobiles, déjà blancs de neige, et leur dit: “Pourquoi ne montez-vous pas dans la voiture? vous serez à l’abri, au moins.”

Ils n’y avaient pas songé, sans doute, et ils se précipitèrent. Les trois hommes installèrent leurs femmes dans le fond, montèrent ensuite; puis les autres formes indécises et voilées prirent à leur tour les dernières places sans échanger une parole.

Le plancher était couvert de paille où les pieds s’enfoncèrent. Les dames du fond, ayant apporté des petites chaufferettes en cuivre avec un charbon chimique, allumèrent ces appareils, et, pendant quelque temps, à voix basse, elles en énumérèrent les avantages, se répétant des choses qu’elles savaient déjà depuis longtemps.

Enfin, la diligence étant attelée, avec six chevaux au lieu de quatre à cause du tirage plus pénible, une voix du dehors demanda: “Tout le monde est-il monté?” Une voix du dedans répondit: “Oui.” - On partit.

La voiture avançait lentement, lentement, à tout petits pas. Les roues s’enfonçaient dans la neige; le coffre entier geignait avec des craquements sourds; les bêtes glissaient, soufflaient, fumaient et le fouet gigantesque du cocher claquait sans repos, voltigeait de tous les côtés, se nouant et se déroulant comme un serpent mince, et cinglant brusquement quelque croupe rebondie qui se tendait alors sous un effort plus violent.

Mais le jour imperceptiblement grandissait. Ces flocons légers qu’un voyageur, Rouennais pur sang, avait comparés à une pluie de coton, ne tombaient plus. Une lueur sale filtrait à travers de gros nuages obscurs et lourds qui rendaient plus éclatante la blancheur de la campagne où apparaissaient tantôt une ligne de grands arbres vêtus de givre, tantôt une chaumière avec un capuchon de neige.

Dans la voiture, on se regardait curieusement, à la triste clarté de cette aurore.

Tout au fond, aux meilleures places, sommeillaient, en face l’un de l’autre, M. et Mme Loiseau, des marchands de vins en gros de la rue Grand-Pont.

Ancien commis d’un patron ruiné dans les affaires, Loiseau avait acheté le fonds et fait fortune. Il vendait à très bon marché de très mauvais vins aux petits débitants des campagnes et passait parmi ses connaissances et ses amis pour un fripon madré, un vrai Normand plein de ruses et de jovialité.

Sa réputation de filou était si bien établie, qu’un soir à la préfecture, M. Tournel, auteur de fables et de chansons, esprit mordant et fin, une gloire locale, ayant proposé aux dames qu’il voyait un peu somnolentes de faire une partie de “Loiseau vole”, le mot lui-même vola à travers les salons du préfet, puis, gagnant ceux de la ville, avait fait rire pendant un mois toutes les mâchoires de la province.

Loiseau était en outre célèbre par ses farces de toute nature, ses plaisanteries bonnes ou mauvaises; et personne ne pouvait parler de lui sans ajouter immédiatement: “Il est impayable, ce Loiseau.”

De taille exiguë, il présentait un ventre en ballon surmonté d’une face rougeaude entre deux favoris grisonnants.

Sa femme, grande, forte, résolue, avec la voix haute et la décision rapide, était l’ordre et l’arithmétique de la maison de commerce, qu’il animait par son activité joyeuse.

A côté d’eux se tenait, plus digne, appartenant à une caste supérieure, M. Carré-Lamadon, homme considérable, posé dans les cotons, propriétaire de trois filatures, officier de la Légion d’honneur et membre du Conseil général. Il était resté, tout le temps de l’Empire, chef de l’opposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement à la cause qu’il combattait avec des armes courtoises, selon sa propre expression. Mme Carré-Lamadon, beaucoup plus jeune que son mari, demeurait la consolation des officiers de bonne famille envoyés à Rouen en garnison.

Elle faisait vis-à-vis à son époux, toute mignonne, toute jolie, pelotonnée dans ses fourrures, et regardait d’un air navré l’intérieur lamentable de la voiture.

Ses voisins, le comte et la comtesse Hubert de Bréville, portaient un des noms les plus anciens et les plus nobles de la Normandie . Le comte, vieux gentilhomme de grande tournure, s’efforçait d’accentuer, par les artifices de sa toilette, sa ressemblance naturelle avec le roi Henri IV, qui, suivant une légende glorieuse pour la famille, avait rendu grosse une dame de Bréville, dont le mari, pour ce fait, était devenu comte et gouverneur de province.

Collègue de M. Carré-Lamadon au Conseil général, le comte Hubert représentait le parti orléaniste dans le département. L’histoire de son mariage avec la fille d’un petit armateur de Nantes était toujours demeurée mystérieuse. Mais comme la comtesse avait grand air, recevait mieux que personne, passait même pour avoir été aimée par un des fils de Louis-Philippe, toute la noblesse lui faisait fête, et son salon demeurait le premier du pays, le seul où se conservât la vieille galanterie, et dont l’entrée fût difficile.

La fortune des Bréville, toute en biens-fonds, atteignait, disait-on, cinq cent mille livres de revenu.

Ces six personnes formaient le fond de la voiture, le côté de la société rentée, sereine et forte, des honnêtes gens autorisés qui ont de la religion et des principes.

Par un hasard étrange, toutes les femmes se trouvaient sur le même banc; et la comtesse avait encore pour voisines deux bonnes soeurs qui égrenaient de longs chapelets en marmottant des Pater et des Ave. L’une était vieille avec une face défoncée par la petite vérole comme si elle eût reçu à bout portant une bordée de mitraille en pleine figure. L’autre, très chétive, avait une tête jolie et maladive sur une poitrine de phtisique rongée par cette foi dévorante qui fait les martyrs et les illuminés.

En face des deux religieuses, un homme et une femme attiraient les regards de tous.

L’homme, bien connu, était Cornudet le démoc, la terreur des gens respectables. Depuis vingt ans, il trempait sa barbe rousse dans les bocks de tous les cafés démocratiques. Il avait mangé avec les frères et amis une assez belle fortune qu’il tenait de son père, ancien confiseur, et il attendait impatiemment la République pour obtenir enfin la place méritée par tant de consommations révolutionnaires. Au quatre septembre, par suite d’une farce peut-être, il s’était cru nommé préfet; mais quand il voulut entrer en fonctions, les garçons de bureau, demeurés seuls maîtres de la place, refusèrent de le reconnaître, ce qui le contraignit à la retraite. Fort bon garçon du reste, inoffensif et serviable, il s’était occupé avec une ardeur incomparable d’organiser la défense. Il avait fait creuser des trous dans les plaines, coucher tous les jeunes arbres des forêts voisines, semé des pièges sur toutes les routes, et, à l’approche de l’ennemi, satisfait de ses préparatifs, il s’était vivement replié vers la ville. Il pensait maintenant se rendre plus utile au Havre, où de nouveaux retranchements allaient être nécessaires. La femme, une de celles appelées galantes, était célèbre par son embonpoint précoce qui lui avait valu le surnom de Boule de suif. Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir. Sa figure était une pomme rouge, un bouton de pivoine prêt à fleurir; et là-dedans s’ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombragés de grands cils épais qui mettaient une ombre dedans; en bas, une bouche charmante, étroite, humide pour le baiser, meublée de quenottes luisantes et microscopiques. Elle était de plus, disait-on, pleine de qualités inappréciables.

Aussitôt qu’elle fut reconnue, des chuchotements coururent parmi les femmes honnêtes, et les mots de “prostituée”, de “honte publique” furent chuchotés si haut qu’elle leva la tête. Alors elle promena sur ses voisins un regard tellement provocant et hardi qu’un grand silence aussitôt régna, et tout le monde baissa les yeux à l’exception de Loiseau, qui la guettait d’un air émoustillé.

Mais bientôt la conversation reprit entre les trois dames, que la présence de cette fille avait rendues subitement amies, presque intimes. Elles devaient faire, leur semblait-il, comme un faisceau de leurs dignités d’épouses en face de cette vendue sans vergogne; car l’amour légal le prend toujours de haut avec son libre confrère.

Les trois hommes aussi, rapprochés par un instinct de conservateurs à l’aspect de Cornudet, parlaient argent d’un certain ton dédaigneux pour les pauvres. Le comte Hubert disait les dégâts que lui avaient fait subir les Prussiens, les pertes qui résulteraient du bétail volé et des récoltes perdues, avec une assurance de grand seigneur dix fois millionnaire que ces ravages gêneraient à peine une année. M. Carré-Lamadon, fort éprouvé dans l’industrie cotonnière, avait eu soin d’envoyer six cent mille francs en Angleterre, une poire pour la soif qu’il se ménageait à toute occasion. Quant à Loiseau, il s’était arrangé pour vendre à l’Intendance française tous les vins communs qui lui restaient en cave, de sorte que l’Etat lui devait une somme formidable qu’il comptait bien toucher au Havre.

Et tous les trois se jetaient des coups d’oeil rapides et amicaux. Bien que de conditions différentes, ils se sentaient frères par l’argent, de la grande franc-maçonnerie de ceux qui possèdent, qui font sonner de l’or en mettant la main dans la poche de leur culotte.

La voiture allait si lentement qu’à dix heures du matin on n’avait pas fait quatre lieues. Les hommes descendirent trois fois pour monter des côtes à pied. On commençait à s’inquiéter, car on devait déjeuner à Tôtes et l’on désespérait maintenant d’y parvenir avant la nuit. Chacun guettait pour apercevoir un cabaret sur la route, quand la diligence sombra dans un amoncellement de neige, et il fallut deux heures pour la dégager.

L’appétit grandissait, troublait les esprits; et aucune gargote, aucun marchand de vin ne se montraient, l’approche des Prussiens et le passage des troupes françaises affamées ayant effrayé toutes les industries.

Les messieurs coururent aux provisions dans les fermes au bord du chemin, mais ils n’y trouvèrent pas même de pain, car le paysan, défiant, cachait ses réserves dans la crainte d’être pillé par les soldats qui, n’ayant rien à se mettre sous la dent, prenaient par force ce qu’ils découvraient.

Vers une heure de l’après-midi, Loiseau annonça que décidément il se sentait un rude creux dans l’estomac. Tout le monde souffrait comme lui depuis longtemps; et le violent besoin de manger, augmentant toujours, avait tué les conversations.

De temps en temps, quelqu’un bâillait; un autre presque aussitôt l’imitait; et chacun, à tour de rôle, suivant son caractère, son savoir-vivre et sa position sociale, ouvrait la bouche avec fracas ou modestement en portant vite sa main devant le trou béant d’où sortait une vapeur.

Boule de suif, à plusieurs reprises, se pencha comme si elle cherchait quelque chose sous ses jupons. Elle hésitait une seconde, regardait ses voisins, puis se redressait tranquillement. Les figures étaient pâles et crispées. Loiseau affirma qu’il payerait mille francs un jambonneau. Sa femme fit un geste comme pour protester; puis elle se calma. Elle souffrait toujours en entendant parler d’argent gaspillé, et ne comprenait même pas les plaisanteries sur ce sujet. “Le fait est que je ne me sens pas bien, dit le comte; comment n’ai-je pas songé à apporter des provisions?” Chacun se faisait le même reproche.

Cependant, Cornudet avait une gourde pleine de rhum; il en offrit: on refusa froidement. Loiseau seul en accepta deux gouttes, et, lorsqu’il rendit la gourde, il remercia : “C’est bon tout de même, ça réchauffe, et ça trompe l’appétit.” L’alcool le mit en belle humeur et il proposa de faire comme sur le petit navire de la chanson: de manger le plus gras des voyageurs. Cette allusion indirecte à Boule de suif choqua les gens bien élevés. On ne répondit pas; Cornudet seul eut un sourire. Les deux bonnes soeurs avaient cessé de marmotter leur rosaire, et, les mains enfoncées dans leurs grandes manches, elles se tenaient immobiles, baissant obstinément les yeux, offrant sans doute au ciel la souffrance qu’il leur envoyait.

Enfin, à trois heures, comme on se trouvait au milieu d’une plaine interminable, sans un seul village en vue, Boule de suif, se baissant vivement, retira de sous la banquette un large panier couvert d’une serviette blanche. Elle en sortit d’abord une petite assiette de faïence, une fine timbale en argent, puis une vaste terrine dans laquelle deux poulets entiers, tout découpés, avaient confit sous leur gelée; et l’on apercevait encore dans le panier d’autres bonnes choses enveloppées, des pâtés, des fruits, des friandises, les provisions préparées pour un voyage de trois jours, afin de ne point toucher à la cuisine des auberges. Quatre goulots de bouteilles passaient entre les paquets de nourriture. Elle prit une aile de poulet et, délicatement, se mit à la manger avec un de ces petits pains qu’on appelle “Régence” en Normandie. Tous les regards étaient tendus vers elle. Puis l’odeur se répandit, élargissant les narines, faisant venir aux bouches une salive abondante avec une contraction douloureuse de la mâchoire sous les oreilles. Le mépris des dames pour cette fille devenait féroce, comme une envie de la tuer ou de la jeter en bas de la voiture, dans la neige, elle, sa timbale, son panier et ses provisions.

Mais Loiseau dévorait des yeux la terrine de poulet. Il dit: “A la bonne heure, Madame a eu plus de précaution que nous. Il y a des personnes qui savent toujours penser à tout.” Elle leva la tête vers lui: “Si vous en désirez, Monsieur? C’est dur de jeûner depuis le matin.” Il salua: “Ma foi, franchement, je ne refuse pas, je n’en peux plus. A la guerre comme à la guerre, n’est-ce pas, Madame?” Et, jetant un regard circulaire, il ajouta: “Dans des moments comme celui-là, on est bien aise de trouver des gens qui vous obligent.” Il avait un journal, qu’il étendit pour ne point tacher son pantalon, et sur la pointe d’un couteau toujours logé dans sa poche, il enleva une cuisse toute vernie de gelée, la dépeça des dents, puis la mâcha avec une satisfaction si évidente qu’il y eut dans la voiture un grand soupir de détresse.

Mais Boule de suif, d’une voix humble et douce, proposa aux bonnes soeurs de partager sa collation. Elles acceptèrent toutes les deux instantanément, et, sans lever les yeux, se mirent à manger très vite après avoir balbutié des remerciements. Cornudet ne refusa pas non plus les offres de sa voisine, et l’on forma avec les religieuses une sorte de table en développant des journaux sur les genoux.

Les bouches s’ouvraient et se fermaient sans cesse, avalaient, mastiquaient, engloutissaient férocement. Loiseau, dans son coin, travaillait dur, et, à voix basse, il engageait sa femme à l’imiter. Elle résista longtemps, puis, après une crispation qui lui parcourut les entrailles, elle céda. Alors son mari, arrondissant sa phrase, demanda à leur “charmante compagne” si elle lui permettait d’offrir un petit morceau à Mme Loiseau. Elle dit: “Mais oui, certainement, Monsieur”, avec un sourire aimable, et tendit la terrine.

Un embarras se produisit lorsqu’on eut débouché la première bouteille de bordeaux: il n’y avait qu’une timbale. On se la passa après l’avoir essuyée. Cornudet seul, par galanterie sans doute, posa ses lèvres à la place humide encore des lèvres de sa voisine.

Alors, entourés de gens qui mangeaient, suffoqués par les émanations des nourritures, le comte et la comtesse de Bréville, ainsi que M. et Mme Carré-Lamadon souffrirent ce supplice odieux qui a gardé le nom de Tantale. Tout d’un coup la jeune femme du manufacturier poussa un soupir qui fit retourner les têtes; elle était aussi blanche que la neige du dehors; ses yeux se fermèrent, son front tomba: elle avait perdu connaissance. Son mari, affolé, implorait le secours de tout le monde. Chacun perdait l’esprit, quand la plus âgée des bonnes soeurs, soutenant la tête de la malade, glissa entre ses lèvres la timbale de Boule de suif et lui fit avaler quelques gouttes de vin. La jolie dame remua, ouvrit les yeux, sourit et déclara d’une voix mourante qu’elle se sentait fort bien maintenant. Mais, afin que cela ne se renouvelât plus, la religieuse la contraignit à boire un plein verre de bordeaux, et elle ajouta: “C’est la faim, pas autre chose.”

Alors Boule de suif, rougissante et embarrassée, balbutia en regardant les quatre voyageurs restés à jeun: “Mon Dieu, si j’osais offrir à ces messieurs et à ces dames…” Elle se tut, craignant un outrage. Loiseau prit la parole: “Eh, parbleu, dans des cas pareils tout le monde est frère et doit s’aider. Allons, Mesdames, pas de cérémonie, acceptez, que diable! Savons-nous si nous trouverons seulement une maison où passer la nuit? Du train dont nous allons, nous ne serons pas à Tôtes avant demain midi.” On hésitait, personne n’osant assumer la responsabilité du “oui”.

Mais le comte trancha la question. Il se tourna vers la grosse fille intimidée, et, prenant son grand air de gentilhomme, il lui dit: “Nous acceptons avec reconnaissance, Madame.”

Le premier pas seul coûtait. Une fois le Rubicon passé, on s’en donna carrément. Le panier fut vidé. Il contenait encore un pâté de foie gras, un pâté de mauviettes, un morceau de langue fumée, des poires de Crassane, un pavé de Pont-l’Evêque, des petits fours et une tasse pleine de cornichons et d’oignons au vinaigre, Boule de suif, comme toutes les femmes, adorant les crudités.

On ne pouvait manger les provisions de cette fille sans lui parler. Donc on causa, avec réserve d’abord, puis, comme elle se tenait fort bien, on s’abandonna davantage. Mmes de Bréville et Carré-Lamadon, qui avaient un grand savoir-vivre, se firent gracieuses avec délicatesse. La comtesse surtout montra cette condescendance aimable des très nobles dames qu’aucun contact ne peut salir, et fut charmante. Mais la forte Mme Loiseau, qui avait une âme de gendarme, resta revêche, parlant peu et mangeant beaucoup.

On s’entretint de la guerre, naturellement. On raconta des faits horribles des Prussiens, des traits de bravoure des Français; et tous ces gens qui fuyaient rendirent hommage au courage des autres. Les histoires personnelles commencèrent bientôt, et Boule de suif raconta, avec une émotion vraie, avec cette chaleur de parole qu’ont parfois les filles pour exprimer leurs emportements naturels, comment elle avait quitté Rouen : “J’ai cru d’abord que je pourrais rester, disait-elle. J’avais ma maison pleine de provisions, et j’aimais mieux nourrir quelques soldats que m’expatrier je ne sais où. Mais quand je les ai vus, ces Prussiens, ce fut plus fort que moi! Ils m’ont tourné le sang de colère; et j’ai pleuré de honte toute la journée. Oh! si j’étais un homme, allez! Je les regardais de ma fenêtre, ces gros porcs avec leur casque à pointe, et ma bonne me tenait les mains pour m’empêcher de leur jeter mon mobilier sur le dos. Puis il en est venu pour loger chez moi; alors j’ai sauté à la gorge du premier. Ils ne sont pas plus difficiles à étrangler que d’autres! Et je l’aurais terminé, celui-là, si l’on ne m’avait pas tirée par les cheveux. Il a fallu me cacher après ça. Enfin, quand j’ai trouvé une occasion, je suis partie, et me voici.”

On la félicita beaucoup. Elle grandissait dans l’estime de ses compagnons qui ne s’étaient pas montrés si crânes; et Cornudet, en l’écoutant, gardait un sourire approbateur et bienveillant d’apôtre; de même un prêtre entend un dévot louer Dieu, car les démocrates à longue barbe ont le monopole du patriotisme comme les hommes en soutane ont celui de la religion. Il parla à son tour d’un ton doctrinaire, avec l’emphase apprise dans les proclamations qu’on collait chaque jour aux murs, et il finit par un morceau d’éloquence où il étrillait magistralement cette “crapule de Badinguet”.

Mais Boule de suif aussitôt se fâcha, car elle était bonapartiste. Elle devenait plus rouge qu’une guigne, et, bégayant d’indignation: “J’aurais bien voulu vous voir à sa place, vous autres. Ca aurait été du propre, ah oui! C’est vous qui l’avez trahi, cet homme! On n’aurait plus qu’à quitter la France si l’on était gouverné par des polissons comme vous!” Cornudet, impassible, gardait un sourire dédaigneux et supérieur; mais on sentait que les gros mots allaient arriver quand le comte s’interposa et calma, non sans peine, la fille exaspérée, en proclamant avec autorité que toutes les opinions sincères étaient respectables. Cependant la comtesse et la manufacturière, qui avaient dans l’âme la haine irraisonnée des gens comme il faut pour la République, et cette instinctive tendresse que nourrissent toutes les femmes pour les gouvernements à panache et despotiques, se sentaient, malgré elles, attirées vers cette prostituée pleine de dignité, dont les sentiments ressemblaient si fort aux leurs.

Le panier était vide. A dix on l’avait tari sans peine, en regrettant qu’il ne fût pas plus grand. La conversation continua quelque temps, un peu refroidie néanmoins depuis qu’on avait fini de manger.

La nuit tombait, l’obscurité peu à peu devint profonde, et le froid, plus sensible pendant les digestions, faisait frissonner Boule de suif, malgré sa graisse. Alors Mme de Bréville lui proposa sa chaufferette dont le charbon, depuis le matin, avait été plusieurs fois renouvelé, et l’autre accepta tout de suite car elle se sentait les pieds gelés. Mme Carré-Lamadon et Loiseau donnèrent les leurs aux religieuses.

Le cocher avait allumé ses lanternes. Elles éclairaient d’une lueur vive un nuage de buée au-dessus de la croupe en sueur des timoniers, et, des deux côtés de la route, la neige qui semblait se dérouler sous le reflet mobile des lumières.

On ne distinguait plus rien dans la voiture; mais tout à coup un mouvement se fit entre Boule de suif et Cornudet; et Loiseau, dont l’oeil fouillait l’ombre, crut voir l’homme à la grande barbe s’écarter vivement comme s’il eût reçu quelque bon coup lancé sans bruit.

Des petits points de feu parurent en avant sur la route. C’était Tôtes. On avait marché onze heures, ce qui, avec les deux heures de repos laissées en quatre fois aux chevaux pour manger l’avoine et souffler, faisait quatorze. On entra dans le bourg, et devant l’hôtel du Commerce on s’arrêta.

La portière s’ouvrit. Un bruit bien connu fit tressaillir tous les voyageurs: c’étaient les heurts d’un fourreau de sabre sur le sol. Aussitôt la voix d’un Allemand cria quelque chose.

Bien que la diligence fût immobile, personne ne descendait, comme si l’on se fût attendu à être massacré à la sortie. Alors le conducteur apparut, tenant à la main une de ses lanternes, qui éclaira subitement jusqu’au fond de la voiture les deux rangs de têtes effarées, dont les bouches étaient ouvertes et les yeux écarquillés de surprise et d’épouvante.

A côté du cocher se tenait, en pleine lumière, un officier allemand, un grand jeune homme excessivement mince et blond, serré dans son uniforme comme une fille en son corset, et portant sur le côté sa casquette plate et cirée qui le faisait ressembler au chasseur d’un hôtel anglais. Sa moustache démesurée, à longs poils droits, s’amincissant indéfiniment de chaque côté et terminée par un seul fil blond, si mince qu’on n’en apercevait pas la fin, semblait peser sur les coins de sa bouche, et, tirant la joue, imprimait aux lèvres un pli tombant.

Il invita en français d’Alsacien les voyageurs à sortir, disant d’un ton raide: “Foulez-vous descendre, Messieurs et Dames?”

Les deux bonnes soeurs obéirent les premières avec une docilité de saintes filles habituées à toutes les soumissions. Le comte et la comtesse parurent ensuite, suivis du manufacturier et de sa femme, puis de Loiseau poussant devant lui sa grande moitié. Celui-ci, en mettant pied à terre, dit à l’officier: “Bonjour, Monsieur”, par un sentiment de prudence bien plus que de politesse. L’autre, insolent comme les gens tout-puissants, le regarda sans répondre.

Boule de suif et Cornudet, bien que près de la portière, descendirent les derniers, graves et hautains devant l’ennemi. La grosse fille tâchait de se dominer et d’être calme: le démoc tourmentait d’une main tragique et un peu tremblante sa longue barbe roussâtre. Ils voulaient garder de la dignité, comprenant qu’en ces rencontres-là chacun représente un peu son pays; et, pareillement révoltés par la souplesse de leurs compagnons, elle tâchait de se montrer plus fière que ses voisines, les femmes honnêtes, tandis que lui, sentant bien qu’il devait l’exemple, continuait en toute son attitude sa mission de résistance commencée au défoncement des routes.

On entra dans la vaste cuisine de l’auberge, et l’Allemand, s’étant fait présenter l’autorisation de départ signée par le général en chef et où étaient mentionnés les noms, le signalement et la profession de chaque voyageur, examina longuement tout ce monde, comparant les personnes aux renseignements écrits.

Puis il dit brusquement: “C’est pien”, et il disparut.

Alors on respira. On avait faim encore; le souper fut commandé. Une demi-heure était nécessaire pour l’apprêter; et, pendant que deux servantes avaient l’air de s’en occuper, on alla visiter les chambres. Elles se trouvaient toutes dans un long couloir que terminait une porte vitrée marquée d’un numéro parlant.

Enfin on allait se mettre à table, quand le patron de l’auberge parut lui-même. C’était un ancien marchand de chevaux, un gros homme asthmatique qui avait toujours des sifflements, des enrouements, des chants de glaires dans le larynx. Son père lui avait transmis le nom de Follenvie.

Il demanda: “Mademoiselle Elisabeth Rousset?”

Boule de suif tressaillit, se retourna: “C’est moi. - Mademoiselle, l’officier prussien veut vous parler immédiatement. - A moi? - Oui, si vous êtes bien Mlle Elisabeth Rousset.”

Elle se troubla, réfléchit une seconde, puis déclara carrément: “C’est possible, mais je n’irai pas.”

Un mouvement se fit autour d’elle; chacun discutait, cherchait la cause de cet ordre. Le comte s’approcha: “Vous avez tort, Madame, car votre refus peut amener des difficultés considérables, non seulement pour vous, mais même pour tous vos compagnons. Il ne faut jamais résister aux gens qui sont les plus forts. Cette démarche assurément ne peut présenter aucun danger: c’est sans doute pour quelque formalité oubliée.”

Tout le monde se joignit à lui, on la pria, on la pressa, on la sermonna, et l’on finit par la convaincre; car tous redoutaient les complications qui pourraient résulter d’un coup de tête. Elle dit enfin: “C’est pour vous que je le fais, bien sûr!”

La comtesse lui prit la main: “Et nous vous en remercions.”

Elle sortit. On l’attendit pour se mettre à table. Chacun se désolait de n’avoir pas été demandé à la place de cette fille violente et irascible, et préparait mentalement des platitudes pour le cas où on l’appellerait à son tour. Mais au bout de dix minutes elle reparut, soufflant, rouge à suffoquer, exaspérée. Elle balbutiait: “Oh la canaille! la canaille!” Tous s’empressaient pour savoir, mais elle ne dit rien; et, comme le comte insistait, elle répondit avec une grande dignité: “Non, cela ne vous regarde pas, je ne peux pas parler.” Alors on s’assit autour d’une haute soupière d’où sortait un parfum de choux. Malgré cette alerte, le souper fut gai. Le cidre était bon, le ménage Loiseau et les bonnes soeurs en prirent, par économie. Les autres demandèrent du vin; Cornudet réclama de la bière. Il avait une façon particulière de déboucher la bouteille, de faire mousser le liquide, de le considérer en penchant le verre, qu’il élevait ensuite entre la lampe et son oeil pour bien apprécier la couleur. Quand il buvait, sa grande barbe, qui avait gardé la nuance de son breuvage aimé, semblait tressaillir de tendresse; ses yeux louchaient pour ne point perdre de vue sa chope, et il avait l’air de remplir l’unique fonction pour laquelle il était né. On eût dit qu’il établissait en son esprit un rapprochement et comme une affinité entre les deux grandes passions qui occupaient toute sa vie: le Pale-Ale et la Révolution; et assurément il ne pouvait déguster l’un sans songer à l’autre.

M. et Mme Follenvie dînaient tout au bout de la table. L’homme, râlant comme une locomotive crevée, avait trop de tirage dans la poitrine pour pouvoir parler en mangeant; mais la femme ne se taisait jamais. Elle raconta toutes ses impressions à l’arrivée des Prussiens, ce qu’ils faisaient. ce qu’ils disaient, les exécrant, d’abord, parce qu’ils lui coûtaient de l’argent, et, ensuite, parce qu’elle avait deux fils à l’armée. Elle s’adressait surtout à la comtesse, flattée de causer avec une dame de qualité.

Puis elle baissait la voix pour dire les choses délicates, et son mari de temps en temps, l’interrompait: “Tu ferais mieux de te taire, madame Follenvie.” Mais elle n’en tenait aucun compte, et continuait: “Oui, Madame, ces gens-là, ça ne fait que manger des pommes de terre et du cochon, et puis du cochon et des pommes de terre. Et il ne faut pas croire qu’ils sont propres. Oh non! Ils ordurent partout, sauf le respect que je vous dois. Et si vous les voyiez faire l’exercice pendant des heures et des jours; ils sont là tous dans un champ: Et marche en avant, et marche en arrière, et tourne par-ci, et tourne par-là. S’ils cultivaient la terre au moins, ou s’ils travaillaient aux routes dans leur pays! Mais non, Madame, ces militaires, ça n’est profitable à personne! Faut-il que le pauvre peuple les nourrisse pour n’apprendre rien qu’à massacrer! Je ne suis qu’une vieille femme sans éducation, c’est vrai, mais en les voyant qui s’esquintent le tempérament à piétiner du matin au soir, je me dis: Quand il y a des gens qui font tant de découvertes pour être utiles, faut-il que d’autres se donnent tant de mal pour être nuisibles! Vraiment, n’est-ce pas une abomination de tuer des gens, qu’ils soient prussiens, ou bien anglais, ou bien polonais, ou bien français? Si l’on se revenge sur quelqu’un qui vous a fait tort, c’est mal, puisqu’on vous condamne; mais quand on extermine nos garçons comme du gibier, avec des fusils, c’est donc bien, puisqu’on donne des décorations à celui qui en détruit le plus? Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais ça!”

Cornudet éleva la voix: “La guerre est une barbarie quand on attaque un voisin paisible; c’est un devoir sacré quand on défend la patrie.”

La vieille femme baissa la tête: “Oui, quand on se défend, c’est autre chose; mais si l’on ne devrait pas plutôt tuer tous les rois qui font ça pour leur plaisir?”

L’oeil de Cornudet s’enflamma: “Bravo, citoyenne”, dit-il.

M. Carré-Lamadon réfléchissait profondément. Bien qu’il fût fanatique des illustres capitaines, le bon sens de cette paysanne le faisait songer à l’opulence qu’apporteraient dans un pays tant de bras inoccupés et par conséquent ruineux, tant de forces qu’on entretient improductives, si on les employait aux grands travaux industriels qu’il faudra des siècles pour achever.

Mais Loiseau, quittant sa place, alla causer tout bas avec l’aubergiste. Le gros homme riait, toussait, crachait; son énorme ventre sautillait de joie aux plaisanteries de son voisin, et il lui acheta six feuillettes de bordeaux pour le printemps, quand les Prussiens seraient partis.

Le souper à peine achevé, comme on était brisé de fatigue, on se coucha.

Cependant Loiseau, qui avait observé les choses, fit mettre au lit son épouse, puis colla tantôt son oreille et tantôt son oeil au trou de la serrure, pour tâcher de découvrir ce qu’il appelait: “les mystères du corridor”.

Au bout d’une heure environ, il entendit un frôlement, regarda bien vite, et aperçut Boule de suif qui paraissait plus replète encore sous un peignoir de cachemire bleu, bordé de dentelles blanches. Elle tenait un bougeoir à la main et se dirigeait vers le gros numéro tout au fond du couloir. Mais une porte, à côté, s’entrouvrit, et, quand elle revint au bout de quelques minutes, Cornudet, en bretelles, la suivait. Ils parlaient bas, puis ils s’arrêtèrent. Boule de suif semblait défendre l’entrée de sa chambre avec énergie. Loiseau, malheureusement, n’entendait pas les paroles, mais, à la fin, comme ils élevaient la voix, il put en saisir quelques-unes. Cornudet insistait avec vivacité. Il disait: “Voyons, vous êtes bête, qu’est-ce que ça vous fait?”

Elle avait l’air indigné et répondit: “Non, mon cher, il y a des moments où ces choses-là ne se font pas; et puis, ici, ce serait une honte.”

Il ne comprenait point, sans doute, et demanda pourquoi. Alors elle s’emporta, élevant encore le ton: “Pourquoi? Vous ne comprenez pas pourquoi? Quand il y a des Prussiens dans la maison, dans la chambre à côté peut-être?”

Il se tut. Cette pudeur patriotique de catin qui ne se laissait point caresser près de l’ennemi dut réveiller en son coeur sa dignité défaillante, car, après l’avoir seulement embrassée, il regagna sa porte à pas de loup.

Loiseau, très allumé, quitta la serrure, battit un entrechat dans sa chambre, mit son madras, souleva le drap sous lequel gisait la dure carcasse de sa compagne qu’il réveilla d’un baiser en murmurant : “M’aimes-tu, chérie?”

Alors toute la maison devint silencieuse. Mais bientôt s’éleva quelque part, dans une direction indéterminée qui pouvait être la cave aussi bien que le grenier, un ronflement puissant, monotone, régulier, un bruit sourd et prolongé, avec des tremblements de chaudière sous pression. M. Follenvie dormait.

Comme on avait décidé qu’on partirait à huit heures le lendemain, tout le monde se trouva dans la cuisine; mais la voiture, dont la bâche avait un toit de neige, se dressait solitaire au milieu de la cour, sans chevaux et sans conducteur. On chercha en vain celui-ci dans les écuries, dans les fourrages, dans les remises. Alors tous les hommes se résolurent à battre le pays et ils sortirent. Ils se trouvèrent sur la place, avec l’église au fond et, des deux côtés, des maisons basses où l’on apercevait des soldats prussiens. Le premier qu’ils virent épluchait des pommes de terre. Le second, plus loin, lavait la boutique du coiffeur. Un autre, barbu jusqu’aux yeux, embrassait un mioche qui pleurait et le berçait sur ses genoux pour tâcher de l’apaiser; et les grosses paysannes dont les hommes étaient à “l’armée de la guerre”, indiquaient par signes à leurs vainqueurs obéissants le travail qu’il fallait entreprendre: fendre du bois, tremper la soupe, moudre le café; un d’eux même lavait le linge de son hôtesse, une aïeule tout impotente.

Le comte, étonné, interrogea le bedeau qui sortait du presbytère. Le vieux rat d’église lui répondit: “Oh! ceux-là ne sont pas méchants: c’est pas des Prussiens à ce qu’on dit. Ils sont de plus loin, je ne sais pas bien d’où; et ils ont tous laissé une femme et des enfants au pays; ça ne les amuse pas, la guerre, allez! Je suis sûr qu’on pleure bien aussi là-bas après les hommes; et ça fournira une fameuse misère chez eux comme chez nous. Ici, encore, on n’est pas trop malheureux pour le moment, parce qu’ils ne font pas de mal et qu’ils travaillent comme s’ils étaient dans leurs maisons. Voyez-vous, Monsieur, entre pauvres gens, faut bien qu’on s’aide… C’est les grands qui font la guerre.”

Cornudet, indigné de l’entente cordiale établie entre les vainqueurs et les vaincus, se retira, préférant s’enfermer dans 1’auberge. Loiseau eut un mot pour rire: “Ils repeuplent.” M. Carré-Lamadon eut un mot grave: “Ils réparent.” Mais on ne trouvait pas le cocher. A la fin on le découvrit dans le café du village attablé fraternellement avec l’ordonnance de l’officier. Le comte l’interpella: “Ne vous avait-on pas donné l’ordre d’atteler pour huit heures? - Ah bien oui, mais on m’en a donné un autre depuis. - Lequel? - De ne pas atteler du tout. - Qui vous a donné cet ordre? - Ma foi! le commandant prussien. - Pourquoi? - Je n’en sais rien. Allez lui demander. On me défend d’atteler, moi je n’attelle pas. Voilà. - C’est lui-même qui vous a dit cela? - Non, Monsieur: c’est l’aubergiste qui m’a donné l’ordre de sa part. - Quand ça? - Hier soir, comme j’allais me coucher.” Les trois hommes rentrèrent fort inquiets.

On demanda M. Follenvie, mais la servante répondit que Monsieur, à cause de son asthme, ne se levait jamais avant dix heures. Il avait même formellement défendu de le réveiller plus tôt, excepté en cas d’incendie.

On voulut voir l’officier, mais cela était impossible absolument, bien qu’il logeât dans l’auberge. M. Follenvie seul était autorisé à lui parler pour les affaires civiles. Alors on attendit. Les femmes remontèrent dans leurs chambres, et des futilités les occupèrent.

Cornudet s’installa sous la haute cheminée de la cuisine, où flambait un grand feu. Il se fit apporter là une des petites tables du café, une canette, et il tira sa pipe qui jouissait parmi les démocrates d’une considération presque égale à la sienne, comme si elle avait servi la patrie en servant à Cornudet. C’était une superbe pipe en écume admirablement culottée, aussi noire que les dents de son maître, mais par¬fumée, recourbée, luisante, familière à sa main, et complétant sa physionomie. Et il demeura immobile, les yeux tantôt fixés sur la flamme du foyer, tantôt sur la mousse qui couronnait sa chope; et chaque fois qu’il avait bu, il passait d’un air satisfait ses longs doigts maigres dans ses longs cheveux gras, pendant qu’il humait sa moustache frangée d’écume.

Loiseau, sous prétexte de se dégourdir les jambes, alla placer du vin aux débitants du pays. Le comte et le manufacturier se mirent à causer politique. Ils prévoyaient l’avenir de la France. L’un croyait aux d’Orléans, l’autre à un sauveur inconnu, un héros qui se révélerait quand tout serait désespéré: un Du Guesclin, une Jeanne d’Arc peut-être? ou un autre Napoléon Ier? Ah! si le prince impérial n’était pas si jeune! Cornudet, les écoutant, souriait en homme qui sait le mot des destinées. Sa pipe embaumait la cuisine.

Comme dix heures sonnaient, M. Follenvie parut. On l’interrogea bien vite; mais il ne put que répéter deux ou trois fois, sans une variante, ces paroles: “L’officier m’a dit comme ça: “Monsieur Follenvie, vous défendrez qu’on attelle demain la voiture de ces voyageurs. Je ne veux pas qu’ils partent sans mon ordre. Vous entendez. Ca suffit.”

Alors on voulut voir l’officier. Le comte lui envoya sa carte où M. Carré-Lamadon ajouta son nom et tous ses titres. Le Prussien fit répondre qu’il admettrait ces deux hommes à lui parler quand il aurait déjeuné, c’est-à-dire vers une heure.

Les dames reparurent et l’on mangea quelque peu, malgré l’inquiétude. Boule de suif semblait malade et prodigieusement troublée.

On achevait le café quand l’ordonnance vint chercher ces messieurs.

Loiseau se joignit aux deux premiers; mais comme on essayait d’entraîner Cornudet pour donner plus de solennité à leur démarche, il déclara fièrement qu’il entendait n’avoir jamais aucun rapport avec les Allemands; et il se remit dans sa cheminée, demandant une autre canette.

Les trois hommes montèrent et furent introduits dans la plus belle chambre de l’auberge, où l’officier les reçut, étendu dans un fauteuil, les pieds sur la cheminée, fumant une longue pipe de porcelaine, et enveloppé par une robe de chambre flamboyante, dérobée sans doute dans la demeure abandonnée de quelque bourgeois de mauvais goût. Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas. Il présentait un magnifique échantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux.

Au bout de quelques instants il dit enfin: “Qu’est-ce que fous foulez?” Le comte prit la parole: “Nous désirons partir, Monsieur. - Non. - Oserai-je vous demander la cause de ce refus? - Parce que che ne feux pas. - Je vous ferai respectueusement observer, Monsieur, que votre général en chef nous a délivré une permission de départ pour gagner Dieppe, et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour mériter vos rigueurs. - Che ne feux pas… foilà tout… Fous poufez tescentre.”

S’étant inclinés tous les trois, ils se retirèrent. L’après-midi fut lamentable. On ne comprenait rien à ce caprice d’Allemand, et les idées les plus singulières troublaient les têtes. Tout le monde se tenait dans la cuisine, et l’on discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables. On voulait peut-être les garder comme otages - mais dans quel but? - ou les emmener prisonniers? ou, plutôt, leur demander une rançon considérable? A cette pensée, une panique les affola. Les plus riches étaient les plus épouvantés, se voyant déjà contraints, pour racheter leur vie, de verser des sacs pleins d’or entre les mains de ce soldat insolent. Ils se creusaient la cervelle pour découvrir des mensonges acceptables, dissimuler leurs richesses, se faire passer pour pauvres, très pauvres. Loiseau enleva sa chaîne de montre et la cacha dans sa poche. La nuit qui tombait augmenta les appréhensions. La lampe fut allumée, et, comme on avait encore deux heures avant le dîner, Mme Loiseau proposa une partie de trente-et-un. Ce serait une distraction. On accepta. Cornudet lui-même, ayant éteint sa pipe par politesse, y prit part.

Le comte battit les cartes - donna, - Boule de suif avait trente et un d’emblée; et bientôt l’intérêt de la partie apaisa la crainte qui hantait les esprits. Mais Cornudet s’aperçut que le ménage Loiseau s’entendait pour tricher.

Comme on allait se mettre à table, M. Follenvie reparut, et, de sa voix graillonnante, il prononça: “L’officier prussien fait demander à Mlle Elisabeth Rousset si elle n’a pas encore changé d’avis.”

Boule de suif resta debout, toute pâle; puis, devenant subitement cramoisie, elle eut un tel étouffement de colère qu’elle ne pouvait plus parler. Enfin elle éclata : “Vous lui direz à cette crapule, à ce saligaud, à cette charogne de Prussien, que jamais je ne voudrai; vous entendez bien, jamais, jamais, jamais!”

Le gros aubergiste sortit. Alors Boule de suif fut entourée, interrogée, sollicitée par tout le monde de dévoiler le mystère de sa visite. Elle résista d’abord; mais l’exaspération l’emporta bientôt: “Ce qu’il veut?… ce qu’il veut?… Il veut coucher avec moi!” cria-t-elle. Personne ne se choqua du mot, tant l’indignation fut vive. Cornudet brisa sa chope en la reposant violemment sur la table. C’était une clameur de réprobation contre ce soudard ignoble, un souffle de colère, une union de tous pour la résistance, comme si l’on eût demandé à chacun une partie du sacrifice exigé d’elle. Le comte déclara avec dégoût que ces gens-là se conduisaient à la façon des anciens barbares. Les femmes surtout témoignèrent à Boule de suif une commisération énergique et caressante. Les bonnes soeurs, qui ne se montraient qu’aux repas, avaient baissé la tête et ne disaient rien.

On dîna néanmoins lorsque la première fureur fut apaisée; mais on parla peu: on songeait.

Les dames se retirèrent de bonne heure, et les hommes, tout en fumant, organisèrent un écarté auquel fut convié M. Follenvie, qu’on avait l’intention d’interroger habilement sur les moyens à employer pour vaincre la résistance de l’officier. Mais il ne songeait qu’à ses cartes, sans rien écouter, sans rien répondre; et il répétait sans cesse: “Au jeu, Messieurs, au jeu.” Son attention était si tendue qu’il en oubliait de cracher, ce qui lui mettait parfois des points d’orgue dans la poitrine. Ses poumons sifflants donnaient toute la gamme de l’asthme, depuis les notes graves et profondes jusqu’aux enrouements aigus des jeunes coqs essayant de chanter.

Il refusa même de monter, quand sa femme, qui tombait de sommeil, vint le chercher. Alors elle partit toute seule, car elle était “du matin”, toujours levée avec le soleil, tandis que son homme était “du soir”, toujours prêt à passer la nuit avec des amis. Il lui cria: “Tu placeras mon lait de poule devant le feu”, et se remit à sa partie. Quand on vit bien qu’on n’en pourrait rien tirer, on déclara qu’il était temps de s’en aller, et chacun gagna son lit.

On se leva encore d’assez bonne heure le lendemain avec un espoir indéterminé, un désir plus grand de s’en aller, une terreur du jour à passer dans cette horrible petite auberge.

Hélas! les chevaux restaient à l’écurie, le cocher demeurait invisible. On alla, par désoeuvrement, tourner autour de la voiture.

Le déjeuner fut bien triste; et il s’était produit comme un refroidissement vis-à-vis de Boule de suif, car la nuit, qui porte conseil, avait un peu modifié les jugements. On en voulait presque à cette fille, maintenant, de n’avoir pas été trouver secrètement le Prussien, afin de ménager, au réveil, une bonne surprise à ses compagnons. Quoi de plus simple? Qui l’eût su, d’ailleurs? Elle aurait pu sauver les apparences en faisant dire à l’officier qu’elle prenait en pitié leur détresse. Pour elle, ça avait si peu d’importance!

Mais personne n’avouait encore ces pensées.

Dans l’après-midi, comme on s’ennuyait à périr, le comte proposa de faire une promenade aux alentours du village. Chacun s’enveloppa avec soin et la petite société partit, à l’exception de Cornudet, qui préférait rester près du feu, et des bonnes soeurs, qui passaient leurs journées dans l’église ou chez le curé.

Le froid, plus intense de jour en jour, piquait cruellement le nez et les oreilles; les pieds devenaient si douloureux que chaque pas était une souffrance, et, lorsque la campagne se découvrit, elle leur apparut si effroyablement lugubre sous cette blancheur illimitée que tout le monde aussitôt retourna, l’âme glacée et le coeur serré.

Les quatre femmes marchaient devant, les trois hommes suivaient, un peu derrière.

Loiseau, qui comprenait la situation, demanda tout à coup si cette “garce-là” allait les faire rester longtemps encore dans un pareil endroit. Le comte, toujours courtois, dit qu’on ne pouvait exiger d’une femme un sacrifice aussi pénible, et qu’il devait venir d’elle-même. M. Carré-Lamadon remarqua que, si les Français faisaient, comme il en était question, un retour offensif par Dieppe, la rencontre ne pourrait avoir lieu qu’à Tôtes. Cette réflexion rendit les deux autres soucieux. “Si l’on se sauvait à pied”, dit Loiseau. Le comte haussa les épaules: “Y songez-vous, dans cette neige? avec nos femmes? Et puis nous serions tout de suite poursuivis, rattrapés en dix minutes, et ramenés prisonniers à la merci des soldats.” C’était vrai: on se tut. Les dames parlaient toilette; mais une certaine contrainte semblait les désunir.

Tout à coup, au bout de la rue, l’officier parut. Sur la neige qui fermait l’horizon, il profilait sa grande taille de guêpe en uniforme, et marchait, les genoux écartés, de ce mouvement particulier aux militaires qui s’efforcent de ne point maculer leurs bottes soigneusement cirées.

Il s’inclina en passant près des dames, et regarda dédaigneusement les hommes, qui eurent, du reste, la dignité de ne se point découvrir, bien que Loiseau ébauchât un geste pour retirer sa coiffure.

Boule de suif était devenue rouge jusqu’aux oreilles; et les trois femmes mariées ressentaient une grande humiliation d’être ainsi rencontrées par ce soldat, dans la compagnie de cette fille qu’il avait si cavalièrement traitée.

Alors on parla de lui, de sa tournure, de son visage. Mme Carré-Lamadon, qui avait connu beaucoup d’officiers et qui les jugeait en connaisseur, trouvait celui-là pas mal du tout; elle regrettait même qu’il ne fût pas Français, parce qu’il ferait un fort joli hussard, dont toutes les femmes assurément raffoleraient.

Une fois rentrés, on ne sut plus que faire. Des paroles aigres furent même échangées à propos de choses insignifiantes. Le dîner silencieux dura peu, et chacun monta se coucher, espérant dormir pour tuer le temps.

On descendit le lendemain avec des visages fatigués et des coeurs exaspérés. Les femmes parlaient à peine à Boule de suif.

Une cloche tinta. C’était pour un baptême. La grosse fille avait un enfant élevé chez des paysans d’Yvetot. Elle ne le voyait pas une fois l’an et n’y songeait jamais; mais la pensée de celui qu’on allait baptiser lui jeta au coeur une tendresse subite et violente pour le sien, et elle voulut absolument assister à la cérémonie.

Aussitôt qu’elle fut partie, tout le monde se regarda, puis on rapprocha les chaises, car on sentait bien qu’à la fin il fallait décider quelque chose. Loiseau eut une inspiration: il était d’avis de proposer à l’officier de garder Boule de suif toute seule, et de laisser partir les autres.

M. Follenvie se chargea encore de la commission, mais il redescendit presque aussitôt. L’Allemand, qui connaissait la nature humaine, l’avait mis à la porte. Il prétendait retenir tout le monde tant que son désir ne serait pas satisfait.

Alors le tempérament populacier de Mme Loiseau éclata: “Nous n’allons pourtant pas mourir de vieillesse ici. Puisque c’est son métier, à cette gueuse, de faire ça avec tous les hommes, je trouve qu’elle n’a pas le droit de refuser l’un plutôt que l’autre. Je vous demande un peu, ça a pris tout ce qu’elle a trouvé dans Rouen, même des cochers ! oui, Madame, le cocher de la préfecture! Je le sais bien, moi, il achète son vin à la maison. Et aujourd’hui qu’il s’agit de nous tirer d’embarras, elle fait la mijaurée, cette morveuse!… Moi, je trouve qu’il se conduit très bien, cet officier. Il est peut-être privé depuis longtemps; et nous étions là trois qu’il aurait sans doute préférées. Mais non, il se contente de celle à tout le monde. Il respecte les femmes mariées. Songez donc, il est le maître. Il n’avait qu’à dire: “Je veux”, et il pouvait nous prendre de force avec ses soldats.”

Les deux femmes eurent un petit frisson. Les yeux de la jolie Mme Carré-Lamadon brillaient, et elle était un peu pâle, comme si elle se sentait déjà prise de force par l’officier.

Les hommes, qui discutaient à l’écart, se rapprochèrent. Loiseau, furibond, voulait livrer “cette misérable” pieds et poings liés à l’ennemi. Mais le comte, issu de trois générations d’ambassadeurs, et doué d’un physique de diplomate, était partisan de l’habileté: “Il faudrait la décider”, dit-il.

Alors on conspira.

Les femmes se serrèrent, le ton de la voix fut baissé, et la discussion devint générale, chacun donnant son avis. C’était fort convenable du reste. Ces dames surtout trouvaient des délicatesses de tournures, des subtilités d’expression charmantes, pour dire les choses les plus scabreuses. Un étranger n’aurait rien compris, tant les précautions du langage étaient observées. Mais la légère tranche de pudeur dont est bardée toute femme du monde ne recouvrant que la surface, elles s’épanouissaient dans cette aventure polissonne, s’amusaient follement au fond, se sentant dans leur élément, tripotant de l’amour avec la sensualité d’un cuisinier gourmand qui prépare le souper d’un autre.

La gaieté revenait d’elle-même, tant l’histoire leur semblait drôle à la fin. Le comte trouva des plaisanteries un peu risquées, mais si bien dites qu’elles faisaient sourire. A son tour, Loiseau lâcha quelques grivoiseries plus raides dont on ne se blessa point; et la pensée brutalement exprimée par sa femme dominait tous les esprits: “Puisque c’est son métier à cette fille, pourquoi refuserait-elle celui-là plus qu’un autre?” La gentille Mme Carré-Lamadon semblait même penser qu’à sa place elle refuserait celui-là moins qu’un autre.

On prépara longuement le blocus, comme pour une forteresse investie. Chacun convint du rôle qu’il jouerait, des arguments dont il s’appuierait, des manoeuvres qu’il devrait exécuter. On régla le plan des attaques, les ruses à employer, et les surprises de l’assaut, pour forcer cette citadelle vivante à recevoir l’ennemi dans la place.

Cornudet cependant restait à l’écart, complètement étranger à cette affaire.

Une attention si profonde tendait les esprits, qu’on n’entendit point rentrer Boule de suif. Mais le comte souffla un léger: “Chut” qui fit relever tous les yeux. Elle était là. On se tut brusquement et un certain embarras empêcha d’abord de lui parler. La comtesse, plus assouplie que les autres aux duplicités des salons, l’interrogea : “Etait-ce amusant, ce baptême?”

La grosse fille, encore émue, raconta tout, et les figures, et les attitudes, et l’aspect même de l’église. Elle ajouta: “C’est si bon de prier quelquefois.”

Cependant, jusqu’au déjeuner, ces dames se contentèrent d’être aimables avec elle, pour augmenter sa confiance et sa docilité à leurs conseils.

Aussitôt à table, on commença les approches. Ce fut d’abord une conversation vague sur le dévouement. On cita des exemples anciens: Judith et Holopherne, puis, sans aucune raison, Lucrèce avec Sextus, Cléopâtre faisant passer par sa couche tous les généraux ennemis, et les y réduisant à des servilités d’esclave. Alors se déroula une histoire fantaisiste, éclose dans l’imagination de ces millionnaires ignorants, où les citoyennes de Rome allaient endormir, à Capoue, Annibal entre leurs bras, et avec lui, ses lieutenants, et les phalanges des mercenaires. On cita toutes les femmes qui ont arrêté des conquérants, fait de leur corps un champ de bataille, un moyen de dominer, une arme, qui ont vaincu par leurs caresses héroïques des êtres hideux ou détestés, et sacrifié leur chasteté à la vengeance et au dévouement.

On parla même en termes voilés de cette Anglaise de grande famille qui s’était laissé inoculer une horrible et contagieuse maladie pour la transmettre à Bonaparte, sauvé miraculeusement par une faiblesse subite, à l’heure du rendez-vous fatal.

Et tout cela était raconté d’une façon convenable et modérée, où parfois éclatait un enthousiasme voulu propre à exciter l’émulation. On aurait pu croire, à la fin, que le seul rôle de la femme ici-bas était un perpétuel sacrifice de sa personne, un abandon continu aux caprices des soldatesques.

Les deux bonnes soeurs ne semblaient point entendre, perdues en des pensées profondes. Boule de suif ne disait rien.

Pendant tout l’après-midi, on la laissa réfléchir. Mais, au lieu de l’appeler “madame”, comme on avait fait jusque-là, on lui disait simplement “mademoiselle”, sans que personne sût bien pourquoi, comme si l’on avait voulu la faire descendre d’un degré dans l’estime qu’elle avait escaladée, lui faire sentir sa situation honteuse.

An moment où l’on servit le potage, M. Follenvie reparut, répétant sa phrase de la veille: “L’officier prussien fait demander à Mlle Elisabeth Rousset si elle n’a point encore changé d’avis.”

Boule de suif répondit sèchement : “Non, Monsieur.”

Mais au dîner la coalition faiblit. Loiseau eut trois phrases malheureuses. Chacun se battait les flancs pour découvrir des exemples nouveaux et ne trouvait rien, quand la comtesse sans préméditation peut-être, éprouvant un vague besoin de rendre hommage à la Religion, interrogea la plus âgée des bonnes soeurs sur les grands faits de la vie des saints. Or, beaucoup avaient commis des actes qui seraient des crimes à nos yeux; mais l’Eglise absout sans peine ces forfaits quand ils sont accomplis pour la gloire de Dieu, ou pour le bien du prochain. C’était un argument puissant; la comtesse en profita. Alors, soit par une de ces ententes tacites, de ces complaisances voilées, où excelle quiconque porte un habit ecclésiastique, soit simplement par l’effet d’une inintelligence heureuse, d’une secourable bêtise, la vieille religieuse apporta à la conspiration un formidable appui. On la croyait timide, elle se montra hardie, verbeuse, violente. Celle-là n’était pas troublée par les tâtonnements de la casuistique; sa doctrine semblait une barre de fer; sa foi n’hésitait jamais; sa conscience n’avait point de scrupules. Elle trouvait tout simple le sacrifice d’Abraham, car elle aurait immédiatement tué père et mère sur un ordre venu d’en haut; et rien, à son avis, ne pouvait déplaire au Seigneur quand l’intention était louable. La comtesse, mettant à profit l’autorité sacrée de sa complice inattendue, lui fit faire comme une paraphrase édifiante de cet axiome de morale: “La fin justifie les moyens.”

Elle l’interrogeait: “Alors, ma soeur, vous pensez que Dieu accepte toutes les voies, et pardonne le fait quand le motif est pur? - Qui pourrait en douter, Madame? Une action blâmable en soi devient souvent méritoire par la pensée qui l’inspire.”

Et elles continuaient ainsi, démêlant les volontés de Dieu, prévoyant ses décisions, le faisant s’intéresser à des choses qui, vraiment, ne le regardaient guère.

Tout cela était enveloppé, habile, discret. Mais chaque parole de la sainte fille en cornette faisait brèche dans la résistance indignée de la courtisane. Puis, la conversation se détournant un peu, la femme aux chapelets pendants parla des maisons de son ordre, de sa supérieure, d’elle-même, et de sa mignonne voisine, la chère soeur Saint-Nicéphore. On les avait demandées au Havre pour soigner dans les hôpitaux des centaines de soldats atteints de la petite vérole. Elle les dépeignit, ces misérables, détailla leur maladie. Et tandis qu’elles étaient arrêtées en route par les caprices de ce Prussien, un grand nombre de Français pouvaient mourir qu’elles auraient sauvés peut-être! C’était sa spécialité, à elle, de soigner les militaires; elle avait été en Crimée, en Italie, en Autriche, et, racontant ses campagnes, elle se révéla tout à coup une de ces religieuses à tambours et à trompettes qui semblent faites pour suivre les camps, ramasser des blessés dans les remous des batailles, et, mieux qu’un chef, dompter d’un mot les grands soudards indisciplinés; une vraie bonne soeur Ran-tan-plan, dont la figure ravagée, crevée de trous sans nombre, paraissait une image des dévastations de la guerre.

Personne ne dit rien après elle, tant l’effet semblait excellent.

Aussitôt le repas terminé, on remonta bien vite dans les chambres pour ne descendre, le lendemain, qu’assez tard dans la matinée.

Le déjeuner fut tranquille. On donnait à la graine semée la veille le temps de germer et de pousser ses fruits.

La comtesse proposa de faire une promenade dans l’après-midi; alors le comte, comme il était convenu, prit le bras de Boule de suif, et demeura derrière les autres, avec elle.

Il lui parla de ce ton familier, paternel, un peu dédaigneux, que les hommes posés emploient avec les filles, l’appelant: “ma chère enfant”, la traitant du haut de sa position sociale, de son honorabilité indiscutée. Il pénétra tout de suite au vif de la question: “Donc, vous préférez nous laisser ici, exposés comme vous-même à toutes les violences qui suivraient un échec des troupes prussiennes, plutôt que de consentir à une de ces complaisances que vous avez eues si souvent en votre vie?”

Boule de suif ne répondit rien.

Il la prit par la douceur, par le raisonnement, par les sentiments. Il sut rester “monsieur le comte”, tout en se montrant galant quand il le fallut, complimenteur, aimable enfin. Il exalta le service qu’elle leur rendrait, parla de leur reconnaissance; puis soudain, la tutoyant gaiement: “Et tu sais, ma chère, il pourrait se vanter d’avoir goûté d’une jolie fille comme il n’en trouvera pas beaucoup dans son pays.”

Boule de suif ne répondit pas et rejoignit la société. Aussitôt rentrée, elle monta chez elle et ne reparut plus. L’inquiétude était extrême. Qu’allait-elle faire? Si elle résistait, quel embarras! L’heure du dîner sonna; on l’attendit en vain. M. Follenvie, entrant alors, annonça que Mlle Rousset se sentait indisposée, et qu’on pouvait se mettre à table. Tout le monde dressa l’oreille. Le comte s’approcha de l’aubergiste, et, tout bas: “Ca y est? - Oui.” Par convenance. il ne dit rien à ses compagnons, mais il leur fit seulement un léger signe de la tête. Aussitôt un grand soupir de soulagement sortit de toutes les poitrines, une allégresse parut sur les visages. Loiseau cria: “Saperlipopette! je paye du champagne si l’on en trouve dans l’établissement” - et Mme Loiseau eut une angoisse lorsque le patron revint avec quatre bouteilles aux mains. Chacun était devenu subitement communicatif et bruyant; une joie égrillarde emplissait les coeurs. Le comte parut s’apercevoir que Mme Carré-Lamadon était charmante, le manufacturier fit des compliments à la comtesse. La conversation fut vive, enjouée, pleine de traits.

Tout à coup, Loiseau, la face anxieuse et levant les bras, hurla: “Silence!” Tout le monde se tut, surpris, presque effrayé déjà. Alors il tendit l’oreille en faisant “Chut!” des deux mains, leva les yeux vers le plafond, écouta de nouveau, et reprit, de sa voix naturelle: “Rassurez-vous, tout va bien.”

On hésitait à comprendre, mais bientôt un sourire passa. Au bout d’un quart d’heure il recommença la même farce, la renouvela souvent dans la soirée; et il faisait semblant d’interpeller quelqu’un à l’étage au-dessus, en lui donnant des conseils à double sens puisés dans son esprit de commis voyageur. Par moments il prenait un air triste pour soupirer: “Pauvre fille!” ou bien il murmurait entre ses dents d’un air rageur : “Gueux de Prussien, va!” Quelquefois, au moment où l’on n’y songeait plus, il poussait, d’une voix vibrante, plusieurs: “Assez! assez!” et ajoutait, comme se parlant à lui-même: “Pourvu que nous la revoyions; qu’il ne l’en fasse pas mourir, le misérable!”

Bien que ces plaisanteries fussent d’un goût déplorable, elles amusaient et ne blessaient personne, car l’indignation dépend des milieux comme le reste, et l’atmosphère qui s’était peu à peu créée autour d’eux était chargée de pensées grivoises.

Au dessert, les femmes elles-mêmes firent des allusions spirituelles et discrètes. Les regards luisaient; on avait bu beaucoup. Le comte, qui conservait, même en ses écarts, sa grande apparence de gravité, trouva une comparaison fort goûtée sur la fin des hivernages au pôle et la joie des naufragés qui voient s’ouvrir une route vers le sud. Loiseau, lancé, se leva, un verre de champagne à la main: “Je bois à notre délivrance!” Tout le monde fut debout : on l’acclamait. Les deux bonnes soeurs, elles-mêmes, sollicitées par ces dames, consentirent à tremper leurs lèvres dans ce vin mousseux dont elles n’avaient jamais goûté. Elles déclarèrent que cela ressemblait à la limonade gazeuse, mais que c’était plus fin cependant.

Loiseau résuma la situation. “C’est malheureux de ne pas avoir de piano parce qu’on pourrait pincer un quadrille.”

Cornudet n’avait pas dit un mot, pas fait un geste; il paraissait même plongé dans des pensées très graves, et tirait parfois, d’un geste furieux, sa grande barbe qu’il semblait vouloir allonger encore. Enfin, vers minuit, comme on allait se séparer, Loiseau qui titubait, lui tapa soudain sur le ventre et lui dit en bredouillant: “Vous n’êtes pas farce, vous, ce soir; vous ne dites rien, citoyen?” Mais Cornudet releva brusquement la tête, et, parcourant la société d’un regard luisant et terrible: “Je vous dis à tous que vous venez de faire une infamie!” Il se leva, gagna la porte, répéta encore une fois: “Une infamie!” et disparut.

Cela jeta un froid d’abord. Loiseau, interloqué, restait bête; mais il reprit son aplomb, puis, tout à coup, se tordit en répétant: “Ils sont trop verts mon vieux, ils sont trop verts.” Comme on ne comprenait pas, il raconta les “mystères du corridor”. Alors il y eut une reprise de gaieté formidable. Ces dames s’amusaient comme des folles. Le comte et M. Carré-Lamadon pleuraient à force de rire. Ils ne pouvaient croire. “Comment! vous êtes sûr! Il voulait… - Je vous dis que je l’ai vu. - Et, elle a refusé… - Parce que le Prussien était dans la chambre à côté. - Pas possible? - Je vous le jure.”

Le comte étouffait. L’industriel se comprimait le ventre à deux mains. Loiseau continuait: “Et, vous comprenez, ce soir, il ne la trouve pas drôle, mais pas du tout.”

Et tous les trois repartaient, malades, essoufflés, toussant.

On se sépara là-dessus. Mais Mme Loiseau, qui était de la nature des orties, fit remarquer à son mari, au moment où ils se couchaient, que “cette chipie” de petite Carré-Lamadon avait ri jaune toute la soirée: “Tu sais, les femmes, quand ça en tient pour l’uniforme, qu’il soit français ou bien prussien, ça leur est, ma foi, bien égal. Si ce n’est pas une pitié, Seigneur Dieu!”

Et toute la nuit, dans l’obscurité du corridor coururent comme des frémissements, des bruits légers, à peine sensibles, pareils à des souffles, des effleurements de pieds nus, d’imperceptibles craquements. Et l’on ne dormit que très tard, assurément, car des filets de lumière glissèrent longtemps sous les portes. Le champagne a de ces effets-là; il trouble, dit-on, le sommeil.

Le lendemain, un clair soleil d’hiver rendait la neige éblouissante. La diligence, attelée enfin, attendait devant la porte, tandis qu’une armée de pigeons blancs, rengorgés dans leurs plumes épaisses, avec un oeil rose, taché, au milieu, d’un point noir, se promenaient gravement entre les jambes des six chevaux, et cherchaient leur vie dans le crottin fumant qu’ils éparpillaient.

Le cocher, enveloppé dans sa peau de mouton, grillait une pipe sur le siège, et tous les voyageurs radieux faisaient rapidement empaqueter des provisions pour le reste du voyage. On n’attendait plus que Boule de suif. Elle parut. Elle semblait un peu troublée, honteuse, et elle s’avança timidement vers ses compagnons, qui, tous, d’un même mouvement, se détournèrent comme s’ils ne l’avaient pas aperçue. Le comte prit avec dignité le bras de sa femme et l’éloigna de ce contact impur. La grosse fille s’arrêta, stupéfaite; alors, ramassant tout son courage, elle aborda la femme du manufacturier d’un “bonjour, Madame” humblement murmuré. L’autre fit de la tête seule un petit salut impertinent qu’elle accompagna d’un regard de vertu outragée. Tout le monde semblait affairé, et l’on se tenait loin d’elle comme si elle eût apporté une infection dans ses jupes. Puis on se précipita vers la voiture où elle arriva seule, la dernière, et reprit en silence la place qu’elle avait occupée pendant la première partie de la route.

On semblait ne pas la voir, ne pas la connaître; mais Mme Loiseau, la considérant de loin avec indignation, dit à mi-voix à son mari: “Heureusement que je ne suis pas à côté d’elle.”

La lourde voiture s’ébranla, et le voyage recommença.

On ne parla point d’abord. Boule de suif n’osait pas lever les yeux. Elle se sentait en même temps indignée contre tous ses voisins, et humiliée d’avoir cédé, souillée par les baisers de ce Prussien entre les bras duquel on l’avait hypocritement jetée.

Mme la comtesse, se tournant vers Mme Carré-Lamadon, rompit bientôt ce pénible silence. “Vous connaissez, je crois, Mme d’Etrelles? - Oui, c’est une de mes amies. - Quelle charmante femme! - Ravissante! Une vraie nature d’élite, fort instruite d’ailleurs, et artiste jusqu’au bout des doigts: elle chante à ravir et dessine dans la perfection!” Le manufacturier causait avec le comte, et au milieu du fracas des vitres un mot parfois jaillissait : “Coupon - échéance - prime - à terme.”

Loiseau, qui avait chipé le vieux jeu de cartes de l’auberge, engraissé par cinq ans de frottement sur les tables mal essuyées, attaqua un bésigue avec sa femme.

Les bonnes soeurs prirent à leur ceinture le long rosaire qui pendait, firent ensemble le signe de la croix, et tout à coup leurs lèvres se mirent à remuer vivement, se hâtant de plus en plus, précipitant leur vague murmure comme pour une course d’oremus ; et de temps en temps elles baisaient une médaille, se signaient de nouveau, puis recommençaient leur marmottement rapide et continu.

Cornudet songeait, immobile.

Au bout de trois heures de route, Loiseau ramassa ses cartes: “Il fait faim”, dit-il.

Alors sa femme atteignit un paquet ficelé d’où elle fit sortir un morceau de veau froid. Elle le découpa proprement par tranches minces et fermes, et tous deux se mirent à manger. “Si nous en faisions autant”, dit la comtesse. On y consentit et elle déballa les provisions préparées pour les deux ménages. C’était, dans un de ces vases allongés dont le couvercle porte un lièvre en faïence, pour indiquer qu’un lièvre en pâté gît au-dessous, une charcuterie succulente, où de blanches rivières de lard traversaient la chair brune du gibier, mêlée à d’autres viandes hachées fin. Un beau carré de gruyère, apporté dans un journal, gardait imprimé: “faits divers” sur sa pâte onctueuse.

Les deux bonnes soeurs développèrent un rond de saucisson qui sentait l’ail; et Cornudet, plongeant les deux mains en même temps dans les vastes poches de son paletot-sac, tira de l’une quatre oeufs durs et de l’autre le croûton d’un pain. Il détacha la coque, la jeta sous ses pieds dans la paille et se mit à mordre à même les oeufs, faisant tomber sur sa vaste barbe des parcelles de jaune clair qui semblaient, là-dedans, des étoiles.

Boule de suif, dans la hâte et l’effarement de son lever, n’avait pu songer à rien; et elle regardait, exaspérée, suffoquant de rage, tous ces gens qui mangeaient placidement. Une colère tumultueuse la crispa d’abord, et elle ouvrit la bouche pour leur crier leur fait avec un flot d’injures qui lui montait aux lèvres; mais elle ne pouvait pas parler tant l’exaspération l’étranglait.

Personne ne la regardait, ne songeait à elle. Elle se sentait noyée dans le mépris de ces gredins honnêtes qui l’avaient sacrifiée d’abord, rejetée ensuite, comme une chose malpropre et inutile. Alors elle songea à son grand panier tout plein de bonnes choses qu’ils avaient goulûment dévorées, à ses deux poulets luisants de gelée, à ses pâtés, à ses poires, à ses quatre bouteilles de bordeaux; et sa fureur tombant soudain, comme une corde trop tendue qui casse, elle se sentit prête à pleurer. Elle fit des efforts terribles, se raidit, avala ses sanglots comme les enfants; mais les pleurs montaient, luisaient au bord de ses paupières, et bientôt deux grosses larmes, se détachant des yeux, roulèrent lentement sur ses joues. D’autres les suivirent plus rapides coulant comme les gouttes d’eau qui filtrent d’une roche, et tombant régulièrement sur la courbe rebondie de sa poitrine. Elle restait droite, le regard fixe, la face rigide et pâle, espérant qu’on ne la verrait pas.

Mais la comtesse s’en aperçut et prévint son mari d’un signe. Il haussa les épaules comme pour dire: “Que voulez-vous? ce n’est pas ma faute.” Mme Loiseau eut un rire muet de triomphe, et murmura: “Elle pleure sa honte.”

Les deux bonnes soeurs s’étaient remises à prier, après avoir roulé dans un papier le reste de leur saucisson.

Alors Cornudet, qui digérait ses oeufs, étendit ses longues jambes sous la banquette d’en face, se renversa, croisa ses bras, sourit comme un homme qui vient de trouver une bonne farce, et se mit à siffloter la Marseillaise .

Toutes les figures se rembrunirent. Le chant populaire, assurément, ne plaisait point à ses voisins. Ils devinrent nerveux, agacés, et avaient l’air prêts à hurler comme des chiens qui entendent un orgue de barbarie.

Il s’en aperçut, ne s’arrêta plus. Parfois même il fredonnait les paroles: Amour sacré de la patrie, Conduis, soutiens, nos bras vengeurs, Liberté, liberté chérie, Combats avec tes défenseurs!

On fuyait plus vite, la neige étant plus dure; et jusqu’à Dieppe, pendant les longues heures mornes du voyage, à travers les cahots du chemin, par la nuit tombante, puis dans l’obscurité profonde de la voiture, il continua, avec une obstination féroce, son sifflement vengeur et monotone, contraignant les esprits las et exaspérés à suivre le chant d’un bout à l’autre, à se rappeler chaque parole qu’ils appliquaient sur chaque mesure.

Et Boule de suif pleurait toujours; et parfois un sanglot, qu’elle n’avait pu retenir, passait, entre deux couplets, dans les ténèbres.

Guy de Maupassant, Les Soirées de Médan, 16 avril 1880.

 

译文

(译者:吴岳添)

一连几天,都有七零八落的败兵穿城而过.这些人已溃不成军,成了乱哄哄的乌合之众.他们垂头丧气地走着,胡子又长又脏.军服破烂不堪,没有军旗,也不分队列.人人神情沮丧,筋疲力尽,无法再动脑筋,也出不了什么主意,只是机械地迈着步子,一停下来便累得倒在地上.尤其显眼的是那些被动员入伍的人,他们本来过着太平日子,安安稳稳地靠年金生活,现在却被枪支压得弯腰曲背;国民别动队的小兵们十分机灵,时而惊慌失措,时而激昂慷慨,随时准备进攻或逃跑;他们当中还有一些穿红裤子的人,是一个师在大战役中被歼灭之后的幸存者;和这些颜色杂乱的步兵排在一起的,有穿着深色军服的炮兵;不时也有一个步履沉重的龙骑兵,戴着闪亮的头盔,吃力地跟在走得比较轻松的步兵后面. 接着过去的是一群一群的游击队员:“战败复仇队”,“坟墓公民队”,“视死如归队”,他们的名称英勇悲壮,看起来却像一帮土匪. 游击队的头头是从前的商人.他们曾买卖呢绒或种子.油脂或肥皂,后来顺应时势当了军人,由于富裕或者留着小胡子而被任命为军官.他们身穿法兰绒制服,挂满武器和饰带,开口说话声大气粗,时常讨论作战计划,以为只有他们假充好汉的肩膀在支撑着垂危的法兰西.不过,他们往往担心自己的战士,这些人十恶不赦,经常无法无天.奸淫掳掠. 听说普鲁士人就要进入鲁昂(法国西北部城市,在塞纳河北岸.)了. 两个月以来,国民自卫军在附近的树林里十分小心地侦察.一只小野兔在荆棘丛里动弹,他们都要准备战斗,有时把自己的哨兵都打死了.现在他们都回了家,他们的武器.军服,以及从前用来吓唬方圆三法里(法国古里,1法里大约相当于4公里.)之内的路程碑的凶器,都忽然无影无踪了. 最后一批法国兵终于渡过了塞纳河,要经过圣塞韦尔和阿夏尔镇到奥德梅尔桥(法国城市,在鲁昂西部,塞纳河南岸,此处指法军向南溃退.)去.将军绝望地走在队伍的后面,他对这些乱七八糟的残兵无能为力.一个具有传奇般的勇气.习惯于胜利的民族,竟然一败涂地,连将军本人在这场大溃退中也惊慌失措,夹在两个副官之间向前走着. 然后是一片沉寂,城市在恐惧之中默默地等待着.许多大腹便便的市民,由于计较生意上的得失而变得谨小慎微.他们焦虑不安地等着战胜者,唯恐厨房里的烤肉铁扦或大菜刀会被当成武器. 生活似乎停止了,店铺都关了门,街道静得吓人,偶尔有居民外出也是贴着墙边匆匆走过. 与其这样焦虑不安地等着,倒不如就让敌人来吧. 法军走了之后的第二天下午,不知从什么地方冒出来一些枪骑兵(旧时普鲁士.奥地利等国的一个兵种.),迅速地穿过了城市.片刻之后,黑压压的一大群人从圣凯瑟琳的山坡上下来,同时,在通向达纳塔尔和布瓦吉尧姆的大路上,也涌现了另外两股侵略军.这三支部队的前卫正好同时到达市政厅广场,德军从附近的所有街道上一批批地开过来,路面在他们沉重而整齐的步伐下喀喀作响. 用陌生的喉音发出的口令声传进了家家户户,这些房子就像无人居住一样毫无动静,但是在关闭着的百叶窗后面,却有一双双眼睛在窥视着这些获胜的人.根据"战争法”,他们成了城市及其生命财产的主人.在遮得黑乎乎的房间里,居民们惊恐万分,就像碰上了洪水和强烈的地震,面对这类毁灭性的灾难,他们的智慧和勇气都毫无用处.因为每当事物的既定秩序被颠倒过来,由人类的法律或自然的法则所保护的一切,被一种是非不分的.残酷的野蛮所摆布,以至于人们不再有安全感的时候,便会使人产生同样的感觉.地震把整个民族压倒在坍塌的房屋之下;泛滥的江河卷走淹死的农民.家畜的尸体和屋梁;因胜利而自豪的军队屠杀自卫者,把其他人作为战俘带走,以军刀的名义抢劫,用炮声来感谢上帝;这些同样可怕的灾祸,都与对永恒正义的一切信仰大相径庭,使我们无法按照教育来信赖上天的保佑和人类的理性. 但是每家门口都有小分队在敲门,而且一进去就不再出来.这就是入侵之后的占领.被征服者的义务开始了:要对征服者显得和蔼可亲. 过了一段时间以后,一旦最初的恐怖消失,便出现了一种新的宁静.在许多家庭里,普鲁士军官都和房东同桌吃饭.有的军官往往相当有教养,礼貌地对法国表示怜悯,声称讨厌这场置身其中的战争.房东感谢他有这种看法,因为说不定哪一天会需要他的保护.把他应酬好了,自己负责提供给养的人数也可望减少一些.既然什么都要靠他,又何必伤害他呢?那样做不是勇敢而是鲁莽.鲁昂的市民曾以英勇的保卫战使城市威名远扬,现在却不再这样鲁莽和冒失了.他们还认为,根据从法国式的礼节中得出的最重要的理由,对于外国士兵只要不公开表示亲近,在家里待之以礼则是完全允许的.在外面互不相识,在家里一起聊天,德国人每天晚上在壁炉边取暖的时间也就更长了. 城市逐渐恢复了常态.法国人还不大出门,普鲁士的士兵却挤满了街道.身穿蓝色制服的轻骑兵军官们,在大街上傲慢地挎着军刀,但尽管如此,与去年在这些咖啡店里喝酒的法国轻骑兵的军官相比,他们对普通市民的蔑视似乎并不更加严重. 然而空气里却弥漫着某种东西,某种难以捉摸的陌生的东西.这是一种不可容忍的异国气氛,犹如一种散发的气味,侵略的气味.它布满了家家户户和一切公共场所,改变了食物的味道,使人感到正在非常遥远的地方.在野蛮而危险的部落里旅行. 战胜者们常常要钱,要许多钱.居民们总是照付,反正他们都很富裕.不过,一个诺曼底的商人越是富有,在眼看财富一点一滴地流入别人手中时就越是心痛. 这时在离城两三法里通向克罗瓦塞.迪埃普达勒或比埃萨尔的河流的下游,船员和渔夫常常从水底捞上来某个德国人的尸体.有的是被一刀砍死的,有的是被拳打脚踢.脑袋被石块砸碎而死的,也有的是被从桥上扔进了水里,这些尸体在军服里都已发胀.河里的淤泥埋没了这些默默无闻的.野蛮而又合法的复仇.这些无名的英雄主义.悄然无声的袭击,它们比大白天的战斗更加危险,却没有引起轰动的光荣. 因为对外敌的仇恨,总是激励着一些准备为理想献身的大无畏的人. 入侵者们虽然把城市置于他们极为严格的监督之下,而且听说他们在胜利进军时沿途烧杀抢掠,但在城里却从未干过这类可怕的事情.人们的胆子终于大了起来,当地的商人心里又痒痒地想去做生意了.其中有几个在法军占据的勒阿弗尔拥有重要的股份,他们试图从陆路到迪埃普,再坐船到那个港口去. 他们利用相识的德国军官们的影响,获得了一张由总司令签发的离境许可证. 他们为这次旅行预订了一辆由四匹马拉的大马车,十个人都在车夫那儿登了记,为了避免引人注目,还决定星期二早晨天不亮就动身. 近来地面已经冻得发硬,而星期一下午大约3钟的时候,从北方吹来的大块乌云使天上下起雪来,不停地下了一个晚上和一整夜. 早晨4点半,旅行者们聚集在诺曼底旅店的院子里,准备上车. 他们还困得要命,裹着毛毯冷得直打哆嗦.黑暗中彼此看不清楚,再说这些人身上都穿着厚厚的冬装,活像一些穿着长袍的肥胖的神甫.不过有两个人互相认了出来,另一个走了过去,他们聊了起来.“我把妻子也带去.“一个人说.“我也带了.““我也一样.“第一个人接着说:“我们不回到鲁昂来了,要是德国人接近勒阿弗尔,我们就到英国去.“人人都有同样的打算,因为他们的性格都差不多. 可是一直没有人套车.一个马夫提着一盏小灯,不时地从一扇黑暗的门里出来,立刻又消失在另一扇门里.马蹄踢打着地面,但声音不大,因为地面上有一层厩肥.听得见房子里面有个男人的声音,边对畜生说话边骂个不停.一阵轻微的铃铛声表示有人在给马上鞍子,这种低低的声音马上就变成了清脆而连续的振动声.它随着马的动作而上下起伏,有时毫无声息,然后猛然一动又响了起来,同时,钉了掌的马蹄踢在地面上发出沉闷的声音. 门忽然关上了.一切声音都消失了.挨冻的市民们不说话了.他们一动不动地站着,冻得发僵. 白色的雪片不停地落到地面上,从上到下组成了一幅接连不断的.闪光的帷幕.它抹去了一切轮廓,为万物蒙上了一层镜子般的地衣.冬夜里的城市万籁俱寂,只听得见无数的雪花飘落时的模糊的沙沙声.与其说是声音,不如说是感觉,感觉到那些似乎充满宇宙.覆盖世界的轻柔的微粒. 提灯的人又出现了,拉着一匹马的缰绳,它不想出来,一副可怜巴巴的样子.他把马拉到车辕面前,把马套好.他一手提灯,只能用一只手干活,所以他转来转去,好半天才把马具套牢.他正要去牵第二匹马,发现这些旅行者全都一动不动,成了雪人,便问他们:“你们干吗不到车里去呀?那样至少可以躲一躲雪.” 他们大概都没有想到这一点,所以急忙走过去.三个男人先把他们的妻子在里面安顿好,接着也上了车.然后,其他模糊不清的人影上去,在最后几个座位上坐下,彼此一句话也不说. 车厢的地板上铺着稻草,大家的脚都伸在稻草里.车厢里面的太太们带着几个烧化学炭的小铜炉,她们点燃以后交谈了一阵,列举这种炉子的好处,唠叨着一些她们早就知道的事情. 马车终于套好了,由于下雪路滑车不好走,所以套的马不是四匹而是六匹.车厢外面有个声音问道:“人到齐了吗?“里面有个声音回答:“到齐了.“于是就出发. 马车慢慢地.慢慢地走着,一步一步地挪动.车轮陷在雪里,整个车厢呻吟般地发出沉闷的咯咯声.马儿脚下打滑,喘息着冒着热气.车夫的大鞭子响个不停,四处飞舞,像条细蛇一样卷起又伸开,并且突然抽打某个圆鼓鼓的马屁股.那匹马就会绷紧肌肉,用力拉上一阵. 天不知不觉地亮了起来.一位旅行者是纯粹的鲁昂血统,他把轻柔的雪片比作一场棉花雨,现在雪也不下了.一线浑浊的日光透过大块乌黑的.厚厚的云层,白色的田野在云层下显得更加耀眼.田野上时而出现一排凝着白霜的大树,时而露出一间被雪覆盖的茅屋. 在车厢里,借着黎明时暗淡的光线,人们互相好奇地打量着. 里面最好的位置上,卢瓦佐(法语中这个名字的发音和"鸟"相同.)先生和他的太太面对面地坐着打盹,他们是大桥街的葡萄酒批发商. 卢瓦佐从前在一个老板手下当店员,老板做生意破了产,他就把店铺买了下来,并且发了财.他以非常便宜的价格向乡下的零售商出售劣质葡萄酒,在熟人和朋友之中被认为是一个狡猾的骗子,一个诡计多端而又快快活活的.真正的诺曼底人. 他作为骗子的名声是如此根深蒂固,所以本地的一位善写寓言和谣曲.文笔细腻辛辣的图奈尔先生,在省政府的一次晚会上看到太太们有点精神不振,便建议她们玩"鸟飞”(法语里的"飞翔"和"偷窃"是同一个词,所以"鸟飞"也可以理解为"卢瓦佐偷窃”,是双关语.)的游戏.这个词本身飞遍了省长的客厅,接着传到了全城的客厅里,使全省的人在一个月里都笑得合不拢嘴. 卢瓦佐出名还因为他爱开各种各样的玩笑,说善意的或恶意的笑话,所以谁提起他来都会立刻加上一句:“这个卢瓦佐,真是个活宝.” 他身材矮小,挺着一个球形的肚子,脸色发红,留着花白的颊髯. 他的妻子高大健壮.坚定果断,说话声音响亮,办事干脆利索.他用快活的说笑来活跃店铺的气氛,她则是店铺的秩序和算计的象征. 坐在他们旁边的是更为可敬的卡雷—拉马东先生.他属于一个更高的等级,在棉纺织业里是个重要人物,拥有三个纺织厂,还是四级"荣誉勋位"获得者和省议会议员.在整个帝国时期(指法兰西第二帝国(1852—1870).),他都是善意的反对派的领袖.用他自己的话来说,他这样做只有一个目的:当他归附曾优雅地抨击过的事业时能有更高的身价.卡雷—拉马东太太比她的丈夫年轻得多,对派驻鲁昂的出身名门的军官们来说一向是个安慰. 她坐在丈夫对面,娇小.可爱.漂亮,蜷缩在皮大衣里,用忧伤的目光注视着破旧的车厢. 她的旁边是于贝尔.德.布雷维尔伯爵夫妇,他们的姓是诺曼底最古老.最高贵的姓氏之一.伯爵是位身材高大的老绅士.他尽力利用穿着打扮的技巧,来突出他与国王亨利四世的相似之处.按照一个使他的家族感到光荣的传说,国王曾使布雷维尔家的一位太太怀了孕,她的丈夫则因此成了伯爵和省长. 作为卡雷—拉马东先生在省议会里的同僚,于贝尔伯爵代表省里的奥尔良派.他和南特一个小船主的女儿的婚姻故事始终神秘莫测.不过,由于伯爵夫人很有气派,待人接物恰到好处,人们甚至认为她被路易—菲力普(1830至1848年的法国国王.)的一个儿子爱过,因此整个贵族阶层对她都热情相待.她的沙龙在本地也首屈一指,只有它还保持着往昔的文雅,所以要想进入其中颇不容易. 布雷维尔夫妇的财产都是不动产,据说年收入达50万法郎. 这六位是车里的主要人物,属于富裕.泰然和强大的社会阶层,是上流社会中信仰宗教和有道德的.有权力和有教养的人. 这三位太太十分凑巧地坐在一条长凳上,而伯爵夫人的另一边则还有两个修女.她们数着长长的念珠,喃喃地念着天主经和圣母经.年老的那个脸上全是麻子,就像迎面挨了一片霰弹.另一个瘦弱不堪,有一张俊俏但病态的面孔,她的胸部被这种造就殉难者和宗教狂的信仰所吞噬,看起来像是患了肺痨. 在两个修女的对面,一个男人和一个女人吸引了大家的目光. 男人是人所共知的民主主义者科尔尼德,对体面的人来说是个危险人物.20年来,他的红棕色的胡子碰过所有民主主义的咖啡店里的啤酒杯.他的父亲从前是糖果商,曾留给他一笔相当可观的遗产.他和兄弟及朋友们把这份遗产吃光之后,他就性急地等着共和国的到来,以便最终获得与他为革命喝掉的那么多啤酒相称的地位.9月4日,也许是有人和他开了个玩笑,他就自以为被任命当了省长.可是当他想上任的时候,办公室的侍役们却不承认他,当时只有他们是主人,他只得退了出来.尽管如此,他也是个非常善良的小伙子,对人无害又乐于效劳,因此以无与伦比的热情组织本地的防务.他让人在平原上挖了一些坑,把附近树林里的小树都砍倒,在所有的大路上布满了陷阱.他对自己的准备工作很满意,所以在敌人临近时就立刻回到城里.现在他认为到勒阿弗尔去更加有益,因为那里就会需要新的防御工事了. 女人是一个妓女,因为过早发胖而出了名,并且得到了"羊脂球"这个外号.她身材矮小,到处都圆滚滚的,胖得要命,连手指上的肉也被指节勒得很紧,像一串串短香肠,富于光泽的皮肤紧绷绷的,上衣里面高耸着硕大无朋的胸脯.然而她始终诱人和很受欢迎,是那样的鲜艳悦目.她的脸蛋像一个红红的苹果,像一朵含苞欲放的牡丹,上面睁着一双极美的黑眼睛,又长又密的睫毛为它们蒙上了一层阴影.下面是一张为亲吻而生的迷人而又湿润的小嘴,长着光亮细小的牙齿. 听说她还有一些无法评价的优点. 她刚被人认出来,那些正派女人便交头接耳起来,“娼妓”.“国家的耻辱"之类的低语清晰可闻,使她抬起了头.她用充满挑衅和无所畏惧的目光扫视着两旁的人,车里立刻鸦雀无声,人人都垂下了眼睛,只有卢瓦佐除外,在神色亢奋地窥视着她. 可是三位太太不久又交谈起来,有这个妓女在场,她们立刻成了朋友,几乎亲密无间.在她们看来,面对这个无耻地出卖肉体的女人,她们应该摆出做妻子的尊严,因为合法的爱情对自由的爱情总是嗤之以鼻的. 三个男人也同样如此,一见到科尔尼德,一种保守者的本能就使他们互相接近,并且以某种蔑视穷人的口气谈论着金钱.于贝尔伯爵说着普鲁士人使他遭受的损害,牲畜被盗和无法收获将给他造成的损失,他以拥有千百万财产的大领主的口气说得满不在乎,因为这些灾难对他的影响不过一年半载.卡雷—拉马东先生在棉纺织业里受过严重打击,因而有所提防,已把六万法郎汇到英国以备不时之需.至于卢瓦佐,他已把地窖里剩余的劣质酒都设法卖给了法国军需处,这样国家就欠了他一大笔钱,他一心指望在勒阿弗尔把这笔钱拿到手. 三个人互相交换着迅速而友好的目光.尽管身份不同,但是由于金钱的关系,他们感到已成了兄弟,都属于由有钱人.把手伸进裤袋弄得金币叮当作响的人所组成的大共济会(共济会是从前某些国家里宣传博爱的秘密团体.). 车子走得极慢,到上午十点钟才走了不足四法里.男人们三次下车步行上坡.大家开始担心起来,因为原定在托特吃午饭,现在看来半夜之前不可能到达.每个人都在窥视着,看路边有没有一个小酒馆,马车却陷进一个雪坑里,费了两个钟头才把它拉出来. 食欲越来越旺盛,弄得大家心烦意乱,可是看不到一家小饭店.一个酒商,普鲁士人的临近和饥饿的法军在这里经过,已经把各行各业的人都吓跑了. 先生们跑到路边的农庄里去找食物,却连面包都找不到,因为士兵们没什么吃的就会把发现的东西抢走,所以心存疑虑的农民把储备的食品都藏起来了. 大约下午1点钟,卢瓦佐声称他感到胃里实在饿得受不了.大家都像他一样早就饥肠辘辘,对吃东西的需要越来越强烈,所以连谈话的兴致都没有了. 不时有个人打呵欠,另一个人几乎立刻受到传染,于是每个人都轮流打起呵欠来.每个人的性格.教养和社会地位不同,因此有的放开喉咙张大嘴巴,有的比较节制,同时马上用手遮住往外冒热气的口腔. 羊脂球几次弯下腰去,似乎在衬裙下面寻找什么东西.她犹豫片刻,看了看两旁的人,又若无其事地直起腰来.那些人都面色苍白,一脸苦相.卢瓦佐保证他愿意出一千法郎买一只肘子.他的妻子做了一个表示反对的手势,接着就不响了.她听到浪费金钱总要心痛,以至于连与钱有关的笑话也听不懂了.“实际上我是不大舒服,“伯爵说,“我怎么没想到要带些食品呢?“每个人都这样责备自己. 不过,科尔尼德却带着满满一葫芦朗姆酒.他请大家喝,别人都冷冰冰地拒绝了,只有卢瓦佐喝了两口.他在送还葫芦的时候表示感谢:“酒还是不错的,喝了暖和,还能聊以充饥.“他喝酒之后心情愉快,便提议像民谣里所唱的小船上那样,吃掉最肥胖的游客.这是影射羊脂球,有教养的人听了很不舒服.大家都不搭腔,只有科尔尼德颇为满意.两个修女不再念经,双手笼在宽大的衣袖里.她们一动不动,固执地垂着眼睛,大概正在把上天降给她们的痛苦作为对上天的奉献. 3点钟的时候,车子来到一片望不见尽头的平原当中,连一个村庄都看不见了.羊脂球终于迅速地弯下腰去,从长凳下面拉出了一只大篮子,上面盖着一块洁白的餐巾. 她先从篮子里取出一个陶瓷小碟子.一只精致的小银杯,然后拿出一个很大的罐子,里面有两只切好的小鸡,鸡上有一层冻汁.大家瞥见篮子里的餐巾下面还有不少好东西,有肉糜.水果.甜食,足够旅行三天之用,根本用不着吃旅馆的饭菜.四个瓶颈从食品包当中露了出来.她拿起一个鸡翅膀,就着一个在诺曼底被称为"摄政时期"的小面包,细嚼慢咽地吃了起来. 所有的目光都盯着她.弥漫的香气使人张大鼻孔,馋涎欲滴,耳朵下面的颌骨在痛苦地痉挛.太太们对这个妓女的蔑视达到了极点,恨不得杀了她,或者把她以及她的酒杯.篮子和食品从车上扔下去,扔到雪地里. 卢瓦佐的眼睛更是始终贪婪地盯着装小鸡的罐子.他说:“好极了,这位太太比我们有先见之明.有些人考虑问题总是十分周到.“她抬起头来对他说:“您想吃点吗,先生?从早晨饿到现在真不好受.“他点了点头:“确实如此,我就不客气了,我饿得吃不消了.战争时期嘛,顾不得那么多了,对吧,太太?“他向周围瞟了一眼,又接着说:“像现在这种时候,碰到肯帮忙的人真是太高兴了.“他把手头的一张报纸摊开,以免弄脏裤子,用总是随身带着的一把小折刀的刀尖戳起一只涂满冻汁的鸡腿,用牙齿咬成小块后咀嚼起来.他吃得那样津津有味,使车厢里响起了一片无可奈何的叹息. 羊脂球又以温柔的声调小心地请两位修女分享她的食物.她们两人立即就接受了,含糊不清地说了两句表示感谢的话之后,连眼皮也不抬便迅速地吃起来.坐在她旁边的科尔尼德也没有拒绝邀请,他和两个修女都把报纸摊在膝盖上,形成了一张餐桌. 几张嘴巴不断地张开和合拢,狼吞虎咽,嚼个不停.卢瓦佐在角落里使劲地吃,还悄悄地要妻子学他的样.她犹豫了许久,直到五脏六腑一阵痉挛之后才同意了.于是她的丈夫委婉地问他们这位"可爱的女伴”,是否可以让他拿一小块鸡给卢瓦佐太太.羊脂球亲切地微笑着说:“可以,当然可以,先生.“并且把罐子递了过去. 第一瓶波尔多葡萄酒打开以后,令人为难的是只有一只酒杯.大家把杯子传来传去,喝的时候擦一下杯口.只有科尔尼德大概是风流成性了,用嘴去碰杯口上被羊脂球的嘴唇湿润过的地方. 四周的人都在吃喝,空气中弥漫着食物的香味.布雷维尔伯爵夫妇和卡雷—拉马东夫妇却可望而不可及,这种讨厌的折磨真是难以忍受.纺织厂厂主的年轻妻子忽然叹了一口气,使所有的人都回过头来:她的脸色和车外的雪一样白,只见她眼睛一合.头一垂,晕过去了.她的丈夫惊慌失措,恳求大家帮帮忙.人们不知如何是好,只见年老的修女托起病人的头,把羊脂球的酒杯放到她的唇边,让她喝了一点酒.漂亮的太太动了一下,睁开眼睛微笑着,有气无力地说她现在感觉很好.但是为了使她不再晕倒,老修女硬要她喝了满满一杯波尔多葡萄酒,并且说:“就是饿的,没别的毛病.” 羊脂球听了满脸通红,十分尴尬,看着四个饿肚子的旅客嗫嚅说:“我的上帝,如果我冒昧地请这几位先生和太太……“她不做声了,怕因此反受侮辱.卢瓦佐说话了:“哎,当然罗,在这种情况下大家都是兄弟,应该互相帮助.好了,太太们,别客气了,拿着吃吧,真见鬼!天知道我们能不能找到一间过夜的房子?照现在的速度来看,明天中午之前都到不了托特.“他们迟疑不决,谁也不肯因为说了"好吧"这个表示赞同的词而负责任.还是伯爵解决了问题.他向惶恐不安的胖姑娘转过身来,摆着绅士的架子对她说:“我们接受并感谢您的邀请,太太.” 万事开头难.一旦断然地跨出了第一步,大家就痛快地享受起来.篮子里的东西都拿了出来,还有肥鹅肝糜.肥云雀糜.熏口条.克拉萨纳的梨.主教桥(法国北部卡尔瓦多斯省省会,是诺曼底的一部分,以产干酪著称.)的干酪块.小蛋糕.满满一杯醋渍小黄瓜和洋葱.和所有的女人一样,羊脂球最爱吃生的蔬菜瓜果. 吃了这个妓女的东西就不能不和她说话.于是大家聊了起来,起初还有所克制,后来见她举止得体,也就更加随便了.布雷维尔太太和卡雷—拉马东太太都深谙世故,显得既亲切又高尚.伯爵夫人尤其迷人,具有最尊贵的太太们那种和蔼可亲的优越感,无论与什么人接触都不可能玷污她们.而健壮的卢瓦佐太太则有一种宪兵精神,始终盛气凌人,说得少吃得多. 大家自然而然地谈起了战争.他们讲述着普鲁士人的暴行和法兰西人的壮举,这些逃跑的人都向别人的勇气表示敬意.每个人都谈起了自己的经历,羊脂球在讲她如何离开鲁昂时确实动了感情,妓女们真正激动的时候往往都这样滔滔不绝.她说:“我起初以为可以留下来.我家准备了许多食品,所以我宁愿让一些士兵吃喝也不想到处流浪.可是我见到了这些普鲁士人,就无法控制自己了!他们使我火冒三丈,我感到耻辱,为此哭了一整天.哎,我要是个男人就好了!我从窗户里看着他们,这些戴尖顶钢盔的肥猪,若不是女仆抓住我的手,我就要把家具砸到他们背上去.后来有人要住到我家来,我扑上去掐住了第一个人的脖子.掐死他们并不比掐死别的人更难!如果不是有人拉住我的头发,我就把那个家伙结果了.事后我只得躲了起来,一有机会就跑掉,所以就上了这辆车.” 众人对她大加赞扬.旅伴们都不如她有这么大的胆量,所以对她的评价也高得多了.科尔尼德在听她讲的时候,保持着使徒式的赞许和亲切的微笑,就像一位神甫在听一个信徒赞美上帝,因为留着长胡子的民主主义者们垄断了爱国主义,正如教士们垄断着宗教一样.接着他以教训人的口吻发了言,用上了从每天贴在墙上的公告中学来的浮夸腔调,最后他一展口才,威严地斥责了那个"恶棍巴丹盖(巴丹盖是拿破仑三世的绰号.)”. 可是羊脂球马上发火了,因为她是波拿巴主义者(指拥护拿破仑王朝的人.).她的面孔涨得比樱桃还红,气得结结巴巴地说:“我倒要看看您,你们这些人,处在他的位置上会怎么样.真卑鄙,就是这样!是你们背叛了他,背叛了这个人!要是让你们这样的放荡鬼来治理的话,我们就只能离开法国了!“科尔尼德无动于衷,保持着一种轻蔑而高傲的微笑,但是大家感到他就要破口大骂了,于是伯爵居间调停,权威地宣称一切真诚的意见都应该受到尊重,好不容易才使怒气冲天的姑娘平静下来.这时,伯爵夫人和纺织厂厂主的妻子却不由自主地站到了这个妓女一边,感到她大义凛然,她的看法和她们十分相像,因为她们内心里怀着一切有教养的人对共和国具有的莫名其妙的仇恨,以及所有的女人对威武而专制的政府都抱有的本能的柔情. 篮子空了.十个人毫不费力就把东西吃光了,同时还在惋惜篮子没有更大一些.谈话又持续了一阵,不过东西吃完之后谈得就不那么热烈了. 夜幕降临,天色越来越黑.人在消化的时候对寒冷最为敏感,所以羊脂球虽然肥胖也哆嗦起来.这时,布雷维尔太太把自己的小炉子借给她,里面的炭从早晨到现在已换了几次.她马上就接了过来,因为她觉得两只脚都冻僵了.卡雷—拉马东太太和卢瓦佐太太也把她们的炉子借给了两个修女. 马夫点亮了车灯.强烈的灯光照亮了辕马冒汗的屁股上方的一团热气,还有大路两旁的雪花,在变化不定的光影中飞舞. 车里什么都看不清了,但是在羊脂球和科尔尼德之间忽然有了一点动静,卢瓦佐的目光在阴影中搜索着,他相信见到留着长胡子的人迅速地闪开,似乎是被人不出声地猛揍了一下. 前方的路上出现了一些小亮光,托特到了.一共走了十一个小时,加上四次让马吃燕麦和喘息的两个小时,一共是十四个小时(原文如此,疑为作者笔误,应为十三小时.).马车进了镇里,在商务旅馆的门口停了下来. 车门开了.一阵相当熟悉的声响使全体旅客都为之战栗:那是刀鞘碰撞地面的声音.随即响起了一个德国人的喊叫声. 马车虽然停住不动,却没有人下车,似乎一出来就会被杀死.这时车夫来了,他手里提着的一盏灯忽然照亮了整个车厢里的两排惊慌失措的面孔,由于吃惊和恐惧而张大的嘴巴和睁大的眼睛. 在车夫旁边,灯光照亮了一个站着的德国军官.他是一个高大的年轻人,特别瘦长,头发金黄,紧裹在军服里,犹如一个裹着胸衣的姑娘.他歪戴着漆布的平顶大盖帽,活像一家英国旅馆里的侍者.他的小胡子长得出奇,胡须都又长又直,越来越细地向两边一直伸展下去,最后只剩下一根金黄色的胡须,细得让人看不出它的尽头.他的小胡子似乎压在嘴角上,扯着面颊,使嘴唇上形成了一道下垂的皱纹. 他用阿尔萨斯(法国旧时东北部地区的省份,隔莱因河与德国交界,普法战争后曾与洛林一起割让给德国,第一次世界大战后由法国收回.)人的法语请旅客们下车,用生硬的语调说着:“先生们和太太们,请你们下来好吗?” 修女们是习惯于服从的,所以两位修女首先温顺地服从了.接着出现的是伯爵和伯爵夫人,后面跟着纺织厂主和他的妻子,以及把高大的妻子推在自己前面的卢瓦佐.他脚刚落地便对军官说:“您好,先生.“与其说是出于礼貌,不如说是出于谨慎.对方却像一切大权在握的人一样,看了他一眼却不予理睬. 羊脂球和科尔尼德虽然坐在车门口,但是最后下车,面对敌人显得庄重和高傲.胖姑娘尽力控制自己保持镇静,那位民主主义者则用一只有点哆嗦的.像演悲剧一样的手,不停地捻着红棕色的长胡子.他们懂得在这种场合里,每个人都有点是代表自己的国家,所以要保持尊严.他们对同伴们的顺从愤愤不平.她要尽量显得比身旁的正派女人们更有自尊,而他则感到自己应该成为典范,一言一行都要继续完成从在大路上挖坑开始的抗敌使命. 大家走进旅馆里宽敞的厨房,德国人要他们出示总司令签发的离境许可证,上面写着每位旅客的姓名.体貌特征和职业.他久久地审视着这些人,把每个人和证件上的内容进行比较. 最后他突然说道:“很好.“接着便走开了. 大家总算松了一口气,因为肚子又饿了,便吩咐准备晚饭.由于做饭至少要半个小时,所以在两个女佣像是忙于饭菜的时候,他们就去看自己的房间.房间都在一条长长的走廊里,尽头有一扇上面装有玻璃的门,上面标着一个尽人皆知的号码(指100号,代表厕所.). 大家终于坐下吃饭的时候,旅馆老板亲自来了.他当过马贩子,是个患哮喘的大胖子,喉咙里总是嘘嘘作响,嗓音嘶哑,痰声不断.他的父亲把弗朗维这个姓传给了他. 他问道: “谁是伊丽莎白.鲁塞小姐?” 羊脂球战栗了一下,转过身来答道: “是我.” “小姐,普鲁士军官想马上和您谈一谈.” “和我?” “不错,如果您就是伊丽莎白.鲁塞小姐的话.” 她不知如何是好,考虑了片刻,然后明确表示: “可能他是找我,但是我不去.” 她的周围产生了一阵骚动.大家七嘴八舌地讨论着为什么会有这个命令.伯爵走近她说: “您错了,太太,因为您的拒绝可能不仅给您.而且给所有的同伴都带来严重的后果.对最强大的人永远不要反抗.他要您去肯定不会有任何危险,可能是为了补办什么手续.” 大家纷纷附和,对她软硬兼施,晓以大义,终于说服了她,因为他们都怕她的拒绝会造成麻烦.最后她说道: “我是为了你们才去的,就是这样!” 伯爵夫人握住她的手: “为此我们都感谢您.” 她走了.大家等着她回来再吃饭.每个人都感到遗憾,召见的不是自己而是这个暴躁易怒的姑娘,因此都在默默地准备一些阿谀奉承的话,以便轮到自己被召见时好说出来. 过了十分钟她回来了,气喘吁吁,怒气冲冲,气得满脸通红.她翻来覆去地说:“真是流氓!流氓!” 大家都急于想知道是怎么回事,可是她一言不发.由于伯爵再三追问,她才极为庄重地答道:“不,这跟你们无关,我不能说.” 于是大家围着一个有盖的大汤碗坐了下来,碗里透出了白菜的香气.尽管刚才惊慌了一阵,但晚饭还是吃得很愉快.苹果酒不错,那是卢瓦佐夫妇和两个修女为了省钱才要的.其他人都要了葡萄酒.科尔尼德要的是啤酒.他以一种独特的方式打开酒瓶,让啤酒起沫,把杯子侧着放在灯前仔细鉴赏酒的颜色.他的大胡子与他所喜爱的饮料色调相同,所以他喝酒的时候,胡子似乎也在温柔地颤动.他的眼睛一眨不眨地盯着大啤酒杯,好像在履行他生来要完成的唯一的职责.他一生有两种嗜好:淡色啤酒和革命,可以说他在精神上使两者接近得不可分割,因此在品味一种嗜好时肯定不会忘了另一种嗜好. 弗朗维夫妇在桌子的那一头吃饭.男的像个破火车头那样喘个不停,如果边吃饭边说话,胸腔里就来不及通气了.可是女人却说个没完.她讲了普鲁士人来后给她的印象,他们所做的事情和所说的话.她憎恨他们,首先是因为他们花她的钱,其次是她有两个儿子在军队里.她和伯爵夫人说得最多,为自己能和一位有身份的贵妇交谈而感到欣慰. 接着她降低声音谈起那些敏感的问题.她的丈夫不时地打断她的话:“你最好别做声,弗朗维太太.“可是她只当没听见,继续说下去: “不错,太太,这些人只会吃土豆和猪肉,要不就是猪肉和土豆.可是,不要以为他们爱干净.才不呢!请别见怪,他们都随地大小便.您要是见过他们操练就好了,他们一操练就是几个钟头.几天.他们全都呆在一块空地上:向前走,向后走,向这边转,向那边转.他们至少可以在自己的国家里种种地,或者修修路呀!可是不,太太,这些军人对谁都没有用处.难道可怜的老百姓养活他们,就是要他们什么都不学,只会专门杀人!不错,我只是个没有受过教育的老太婆,可是看到他们从早到晚地踏步,踏得浑身筋疲力尽,我就想:有些人发明了那么多东西,是为了做有用的人,难道需要另外一些人来吃这么多苦,就是为了害人!不管是杀普鲁士人,还是英国人,还是波兰人,还是法国人,杀人确实是一件可恶的事情吧?有人伤害了您,您为自己报仇,这样做不好,要判刑;可是人家像打猎一样,用枪消灭我们的小伙子,这倒好了,否则为什么要给杀人最多的人发勋章呢?不,您瞧,这些事情我永远也弄不明白!” 科尔尼德提高了嗓门: “如果进攻一个安定的邻国,战争就是一种野蛮行为;如果是保卫祖国,那就是一种神圣的责任.” 老太婆低下了头: “不错,自卫的时候是另一回事.可是所有的国王都是为了自己高兴才打仗,是不是应该先把他们都杀掉呢?” 科尔尼德眼睛一亮,说: “好样的,女公民.” 卡雷—拉马东先生一直在深思.他虽然狂热地崇拜一切杰出的统帅,但是这个农妇的见识却使他想到,在一个因这么多人没有职业而濒于崩溃的国家里,有这么多劳动力不参与生产,如果把他们用到要几个世纪才能完成的巨大工程中去,将会带来多少财富. 卢瓦佐却离开了座位,去和旅馆老板低声交谈.大胖子不停地发笑.咳嗽.吐痰,对方的笑话使他巨大的肚子高兴得上下抖动.他向卢瓦佐订购了六大桶波尔多葡萄酒,到春天普鲁士人走了再交货. 晚饭刚吃完,大家便因为累得要命而睡觉了. 可是卢瓦佐对事情颇为留心.他安顿妻子上床睡觉以后,就时而把耳朵.时而把眼睛贴在锁孔上,尽力去发现他所说的"走廊里的奥秘”. 大约过了一个小时,他听到一阵衣裙的声,立刻用眼看去,瞥见了羊脂球.她身穿一件绣着白色花边的开司米便袍,显得更肥胖了.她手里拿着一个蜡烛盘,向走廊尽头那个号码最大的房间(指厕所.)走去.但是旁边有一扇门开了一条缝,等她过了几分钟往回走的时候,科尔尼德穿着背带裤出来跟着她.他们低声地说着话,然后站住了.羊脂球似乎坚决禁止他进她的房间.可惜卢瓦佐听不见他们的谈话.不过到最后他们提高了嗓门,使他得以听见了几句.科尔尼德激烈地坚持着,他说: “看看,您真傻,这种事情对您有什么要紧呢?” 她好像生气了,回答说: “不,我亲爱的,有些时候这种事情是不能做的,要是在这儿做就会是一种耻辱.” 他大概莫名其妙,还在问为什么.于是她发火了,嗓门提得更高: “为什么?您不明白为什么?不知道屋子里有普鲁士人,也许就在隔壁房间里?” 他不做声了.有敌人在旁边,婊子都不让人碰,这种爱国的廉耻心想必唤醒了他心中正在减弱的自尊,因为他只是和她拥抱了一下,便悄悄地回到他的房间里去了. 卢瓦佐看得浑身发热,离开锁孔,在房间里来了个击脚跳(人跳起后双脚互击数次的舞蹈动作.).他戴上色彩鲜艳的棉布睡帽,掀起盖在他的骨头发硬的妻子身上的被单,一边用一个亲吻把她弄醒,一边低声问道:“你爱我吗,亲爱的?” 这时整幢房子都已寂静无声.可是,不久就在方向不明的某个地方,可能是地窖,也可能是顶楼,响起了强烈的.单调的.有规律的鼾声,一种像汽锅在蒸气压力下抖动的.沉闷而悠长的声音,那是弗朗维先生在睡觉. 第二天早晨8点钟是预定的出发时间.大家来到厨房里,可是那辆车子却孤零零地停在院子当中,篷布顶上有一层积雪,既没有马也没有车夫.大家到马厩里.草料房里.车库里去找车夫,却白费力气.于是所有的男人决定到处去找,就出门去了.他们来到广场上,对面有一座教堂,两旁是一些低矮的房子,里面有些普鲁士士兵.他们看见的第一个士兵在削土豆皮.第二个士兵稍远一点,正在冲洗理发店.还有一个士兵满脸都是胡子,把一个哭闹的孩子放在膝盖上摇晃着.亲吻着,尽量使他安静下来.那些胖胖的农妇,丈夫都在军队里打仗,她们正在用手势向战胜者指明该做的事情,他们便顺从地劈柴,把汤浇在面包片上,磨咖啡,其中有个士兵甚至替他的女房东.一个残废的老婆子洗衣服. 伯爵大为惊讶,便询问从本堂神甫住宅里出来的教堂执事.这位极其虔诚的老教徒答道:“哎!这些人可不是坏人,听说他们不是普鲁士人.他们住得更远,我不清楚是什么地方.他们出来打仗可不轻松,家里都有老婆孩子.打吧!我相信那边也在为这些男人哭泣,打仗会使他们和我们一样痛苦不堪.我们这里眼下还不算太惨,因为他们不做坏事,还像在自己家里一样干活.您瞧,先生,穷人之间应该互相帮助……只有大人物才要打仗.” 征服者和被征服者之间和睦相处,使科尔尼德大为不满地走开了,他宁可独自呆在旅馆里.卢瓦佐说了一句笑话:“他们在增加人口.“卡雷—拉马东先生认真地说:“他们在弥补造成的损失.“可是他们找不到车夫.最后,在镇上的咖啡馆里发现了他,他正和军官的传令兵亲如手足地坐在桌旁.伯爵喊了他一声: “我们不是要您在8点钟把车套好吗?” “没错啊,但是后来又有人吩咐我了.” “吩咐你干什么?” “决不要套车.” “谁吩咐您的?” “当然是普鲁士指挥官.” “为什么?” “我什么也不知道.去问他吧.他不许我套车,我就不套,就是这么回事.” “是他亲自告诉您的吗?” “不,先生,是旅馆老板把他的吩咐告诉我的.” “什么时候告诉您的?” “昨天晚上,在我要睡觉的时候.” 三个男人非常焦急地回去了. 他们要见弗朗维先生,女仆却回答说先生因患哮喘,10点钟之前从不起床.他甚至明确规定除了失火之外,禁止提前叫醒他. 他们又想见军官,但他虽然住在旅馆里,他们却绝对不可能见到.只有弗朗维先生才被允许在发生民事纠纷时去找他.大家只好等着.妇女们回到各自的房间里,去忙一些鸡毛蒜皮的事情. 科尔尼德坐在厨房里高大的壁炉下面,炉火很旺.他让人拿来一张喝咖啡用的小桌.一小瓶啤酒,并且掏出了烟斗.在民主主义者当中,这只烟斗所受到的尊重几乎不亚于他本人,似乎它为科尔尼德服务也就是为祖国服务.这是一只极其漂亮的海泡石烟斗,结了一层令人起敬的烟垢,黑得和主人的牙齿一样,但是芳香扑鼻,顶端弯曲,油光可鉴,拿在手中驾轻就熟,成了他外貌的组成部分.他一动不动地呆着,眼睛时而盯着炉子里的火焰,时而盯着啤酒杯里的泡沫.每喝一口,他都带着满足的神情,用瘦长的指头掠一下油腻的长发,同时用鼻子嗅着沾有泡沫的小胡子. 卢瓦佐借口出去活动一下腿脚,向本地的酒店老板们推销葡萄酒.伯爵和纺织厂主开始谈论政治,预测法国的未来.一个相信奥尔良党人,另一个相信会有一位现在还不知其名的救星,一位将在国家面临绝境时露面的英雄:也许是一个杜.盖克兰(贝特朗.杜.盖克兰(1315~1380),法国陆军统帅.),一个圣女贞德(法国女英雄(1412~1431).)?或者是另一个拿破仑一世?唉!要是皇太子不那么小就好了!科尔尼德在听他们聊天时,始终像个知天命的人那样微笑着.他的烟斗使厨房里充满了香气. 10点钟敲响的时候,弗朗维先生来了.大家问他为什么不套车,可他只是一字不改地重复了两三遍:“军官是这样对我说的:‘弗朗维先生,明天您不要让车夫给这些旅客套车.我不想让他们没有我的命令就动身.您明白了吧,就这样.,” 于是大家要见军官.伯爵让人把自己的名片送去,卡雷—拉马东先生在这张名片上添上了自己的名字和一切头衔.普鲁士军官派人答复说,他同意这两个人在他吃完午饭.也就是将近1点钟的时候和他谈谈. 太太们也都来了.大家尽管担心,还是吃了点东西.羊脂球好像病了,而且特别惊恐不安. 快喝完咖啡的时候,副官来找这两位先生了. 卢瓦佐和他们一起去.为了使这一举动显得更加隆重,他们想把科尔尼德也带去,但是他高傲地宣称永远不想和德国人有任何联系,说完便重新坐在壁炉下面,又要了一小瓶啤酒. 三个男人上了楼,被引入旅馆中最漂亮的房间,军官就在那里接见他们.他躺在一张安乐椅里,双脚搁在壁炉上,吸着一只长长的瓷烟斗.他身上裹着一件闪光的便袍,大概是从某个趣味不高的资产者丢下的房子里偷来的吧.他没有站起来,也没有和他们打招呼,连看都不看.得胜的军人所特有的粗鲁无礼,在他身上得到了最完美的体现. 过了好一会儿,他终于开口了: “你们要说什么?” 伯爵说话了:“我们想动身,先生.” “不行.” “我是否可以冒昧地问一下不准动身的原因?” “因为我不想让你们走.” “我尊敬地请您注意,先生,您的总司令给我们发了到迪埃普去的离境许可证,而且我不认为我们做了什么值得您如此严厉的事情.” “我不愿意……就这样……请你们下去吧.” 三个人弯着腰退了出来. 下午可真不好过.大家对德国人的恶作剧莫名其妙,于是都胡思乱想起来.所有的人都呆在厨房里,没完没了地讨论,设想着种种难以置信的事情.人家也许要把他们作为人质扣押?但是为什么要这样做?或者把他们当战俘带走?或者更可能是向他们勒索一笔数目巨大的赎金?他们想到这一点就惊恐万状.最富裕的人也是恐惧,他们似乎已经看到自己为了赎身,不得不把一袋袋满满的金币倒进这个肆无忌惮的大兵手里.他们绞尽脑汁想出一些说得过去的谎话,以便隐瞒自己的财富,让人家把他们当成穷人.穷得要命的人.卢瓦佐把表链取下来藏在口袋里.黑夜的来临更使人心神不定.灯点亮了,因为离吃晚饭还有两个钟头,卢瓦佐太太就提议玩一局三十一点.这样可以消遣一下,大家就同意了.连科尔尼德也礼貌地熄灭了烟斗,一起玩了起来. 伯爵洗了牌又发牌,羊脂球一上来就得了三十一点,玩牌的兴趣不久就平息了纠缠在各人头脑里的忧虑.不过,科尔尼德却发现卢瓦佐夫妇在串通作弊. 大家正要坐到桌旁吃饭的时候,弗朗维先生又出现了,并且用带痰的声音说道:“普鲁士军官让我问问伊丽莎白.鲁塞小姐,她是否还没有改变主意.” 羊脂球站在那里,脸色惨白,忽然又变得通红.她气得喘息着,连话都说不出来了.最后她勃然大怒:“您去告诉这个恶棍,这个卑鄙的家伙,这具普鲁士的死尸,我永远不会答应;您听清楚了,永远不会,永远不会,永远不会!” 胖老板出去了.大家围着羊脂球问来问去,要她说说军官为什么见她.她一开始不肯说,但马上就愤怒得控制不住自己了:“他要干什么?……他要干什么?……他要跟我睡觉!“她这样喊着.大家都义愤填膺,谁也不感到这句粗话刺耳.科尔尼德把酒杯放回桌上时使劲一顿,连酒杯都碎了.大家齐声痛骂这个粗野的无耻之徒,个个怒气冲天,团结对敌,似乎人家也要求他们每个人都承担一份要她作出的牺牲一样.伯爵厌恶地宣称这些人的所作所为就像古代的蛮族.太太们对羊脂球更是百般安慰和同情.两个修女只有吃饭时才露面,她们低着头一声不吭. 然而在第一阵狂怒过去之后,大家还是吃了晚饭,不过很少说话,人人都若有所思. 太太们很早就回到房间里去了,男人们则抽着烟打起纸牌来.他们请弗朗维先生一起玩,是想巧妙地问问他,有什么办法可以使军官不再阻挠他们.可是他只想着他的牌,对他们的话不闻不问,而且不断地催促:“打牌,先生们,打牌.“他是如此专心致志,连痰都忘了吐,所以胸腔里的声音往往拖得很长.从深沉的低音到小公鸡学打鸣时的嘶哑尖叫,凡是哮喘的各种声音都在他嘘嘘作响的肺里应有尽有. 当他的妻子困得吃不消而来找他的时候,他竟然拒绝上楼.她就独自走了,因为她一向"值早班”,天一亮就起床;而她的男人是"值晚班”,总是准备和朋友们一起通宵不眠.他向她喊了一声:“你把我的牛奶鸡汤放在炉子前面.“便又去打他的牌了.后来大家明白从他身上什么都问不出来,便表示该回去了,于是每个人都上了床. 第二天大家还是起得相当早,都怀着一种不明确的希望,一种更加强烈的想动身的愿望,一种对在这个可怕的小旅馆里再过一天的恐惧. 唉!马依然都在马厩里,车夫还是不见踪影.大家无所事事,就在马车周围转来转去. 午饭吃得相当不愉快,大家对羊脂球的态度都冷淡了,他们的看法经过夜间的思考已有所改变.他们现在几乎有点怨恨这个妓女,为什么没有偷偷地去找那个普鲁士人,好让旅伴们醒来时都喜出望外.还有什么比这更简单的呢?再说又有谁会知道?她可以对军官说,她是看到大家处于困境才动了恻隐之心,这样就能保住面子了.对她来说这种事情有什么要紧! 不过,还没有人承认有这些想法. 下午大家闷得要命,伯爵提议到镇子周围去散散步.科尔尼德宁愿呆在壁炉旁边,两个修女白天都在教堂里或者神甫家里,除此之外的每个人都穿戴整齐,一伙人便出发了. 天气一天比一天寒冷,鼻子和耳朵都冻得生疼;两只脚也几乎冻僵,每走一步都苦不堪言.当田野出现在眼前的时候,他们看到的是白茫茫的一片,感到它像死亡一样吓人,不禁从头凉到脚,赶紧心情沉痛地往回走. 四个女人走在前面,三个男人跟在后面,相距不远. 卢瓦佐很清楚目前的处境,他忽然问道,那个"婊子"是否会让他们在这么一个地方再呆很久.伯爵始终彬彬有礼,认为不能强求一个女人作出如此痛苦的牺牲,应该由她自己决定.卡雷—拉马东先生指出,如果像大家所说的那样,法国人从迪埃普发动反攻,那么只能在托特发生战斗.这个想法使另外两个人忧心忡忡.卢瓦佐问:“我们能不能步行逃走?“伯爵耸了耸肩膀:“在这种雪地里,带着我们的妻子,您还打算步行?就是走了也马上会被人追赶,十分钟之内就被抓住,并且当成俘虏带回去任凭士兵们摆布了.“确实如此,大家无话可说. 太太们谈论穿着打扮,不过都有点拘束,似乎话不投机. 突然,军官出现在街的尽头.一望无边的雪地衬托出他穿着军服的.细腰蜂般的高挑身材.他走的时候两膝分开,这是军人特有的动作,因为他们力求不弄脏仔细擦亮的长统靴. 他经过太太们身边时欠欠身子,对男人们轻蔑地看了一眼.他们倒也有自尊心,没有脱帽,虽然卢瓦佐作出了要取下帽子的姿势. 羊脂球满脸通红,三个已婚女人则感到十分丢脸,因为被这个军人碰见的时候,她们正和这个被他粗暴对待的妓女在一起. 于是她们谈起他来,议论他的身材和相貌.卡雷—拉马东夫人认识许多军官,对评价他们是个行家.她认为这个军官相当不错,甚至惋惜他不是法国人,否则他将成为一个极其英俊的轻骑兵,所有的女人都肯定会为之着迷. 大家一回来就不知道该干些什么好了,为了一些鸡毛蒜皮的事情也冷嘲热讽起来.一声不吭地匆匆吃完了晚饭,每个人都上楼睡觉,指望睡着了时间过得快一些. 第二天下楼的时候,大家都面色疲惫,心情恶劣.太太们几乎不和羊脂球说话. 洗礼的钟声响了.胖姑娘有一个孩子,寄养在伊弗托(法国塞纳滨海省城市.)的农民家里,一年也见不上一次,平时倒也从不想着要去看他.可是想到这个就要受洗的孩子,她心里对自己的孩子突然产生了一种强烈的温情,使她一定要去参加洗礼的仪式. 她刚走,大家就互相望望,接着把椅子拉近,因为都感到总该作出什么决定了.卢瓦佐忽然想出个好主意:他主张向军官建议把羊脂球单独留下,而让其他人动身. 弗朗维先生又承担了跑腿的差使,可是几乎立刻就下来了.这个德国人了解人的本性,所以把他赶出门外.只要他的欲望得不到满足,他就要把所有的人扣留在这里. 这时卢瓦佐太太像泼妇似的大发雷霆:“我们总不能老死在这里.跟所有的男人干这种事情,既然是这个妓女的职业,我认为她就无权拒绝这个或那个男人.我问问你们,她在鲁昂是不是找得着的人都要,哪怕是马车夫!不错,太太,省政府的马车夫!我知道得很清楚,因为他就在我的店里买葡萄酒.今天要她来帮我们摆脱困境的时候,她倒装腔作势起来,这个自以为了不起的毛丫头!……依我看,我认为这个军官为人很好.他也许很久没碰过女人了,而且大概宁愿要我们三个.可是不,他只要这个属于大家的女人就够了.他尊重有夫之妇.你们想想看,他是主人.他只要说’我要,,就能带着他的士兵强奸我们.” 那两个女人颤栗了一下.漂亮的卡雷—拉马东太太眼睛放光,脸色有点发白,似乎感到自己已经被那个军官强奸了. 在旁边商议的男人们走了过来.卢瓦佐怒气冲冲,要把这个"可耻的女人"捆住手脚交给敌人.然而,伯爵出身于三代人都当过大使的外交世家,长得也像外交官.他主张使用策略,认为"应该让她下决心”. 于是他们密谋起来. 太太们紧挨在一起,压低了声音,讨论无拘无束,人人各抒己见,而且说话非常得体.这些太太尤其能找到委婉的表示方式和微妙而迷人的词句,来说出最淫秽下流的事情.由于言语十分谨慎,局外人即使听见也一无所知.然而一切上流社会的妇女,都只是在表面上披着一层薄薄的廉耻心.她们碰上这种下流事件都精神焕发.心花怒放,深感如鱼得水,都怀着淫荡的心情策划别人的性关系,正如一个贪吃的厨师在为另一个人准备晚餐一样. 最后,他们感到这件事情是那么有趣,所以自然而然地快活起来了.伯爵说了一些近乎淫猥的笑话,然而说得如此巧妙,大家听了都很满意.卢瓦佐也说了些更加不堪入耳的下流话,但谁也不觉得刺耳.他的妻子直言不讳地说出了大家心里的想法:“既然这种事情是这个妓女的职业,为什么她非要拒绝这个人而不是另一个人呢?“可亲的卡雷—拉马东太太甚至像是在想,如果换了她的话,就会宁可拒绝别人也不拒绝这个人. 他们久久地进行着封锁的准备,就像对付一个被围困的堡垒.每个人都确定了自己要扮演的角色.要引用的证据和应该采取的手段.进攻计划.运用诡计.突然袭击等等都一一布置妥当,以便迫使这座活生生的堡垒把敌人接纳进去. 但是科尔尼德始终呆在一边,对这件事情不闻不问. 这些人是如此全神贯注,因此对羊脂球的回来毫无觉察.还是伯爵轻轻地嘘了一声,才使大家抬起了眼睛.她在那儿.他们忽然住嘴不说了,颇为尴尬,一开始不知对她说什么好.伯爵夫人比其他人更熟谙沙龙里的口是心非,就问她:“洗礼有趣吗?” 胖姑娘还在激动不已,什么都讲,那里有哪些人,是什么姿态,甚至连教堂的样子都讲了.她还加了一句:“有时做做祈祷真不错.” 不过直到吃午饭之前,几位太太只是对她显出和蔼可亲的样子,以便增加她的信任,使她能听从他们的劝告. 一到餐桌上,他们就开始进攻.首先是隐隐约约地从献身精神谈起.大家列举了一些古代的例子:犹滴和敖罗斐乃(《圣经》故事.犹滴为犹太女英雄.亚述王派敖罗斐乃进攻犹太的要塞拜突里亚城,犹滴深夜潜入敌阵,智取敖罗斐乃之头,使犹太军民大胜.),接着无缘无故地提起了卢克莱丝和塞克斯都(卢克莱丝(死于公元前509年)是古罗马贵妇,被古罗马第七王塔克文.苏佩布(约公元前534—前509在位)之子塞克斯都奸污后自杀,据说这一事件导致了罗马君主制的崩溃.),以及先后和所有敌军将领睡觉.使他们变得像奴隶般顺从的克娄巴特拉(指克娄巴特拉七世(公元前69—前30),古埃及托勒密王朝的末代女王,有绝代佳人之称,曾以美貌征服罗马统帅恺撒和大将安东尼.).于是就展现了一段异想天开的.由这些无知的百万富翁想象出来的历史:罗马的女公民们都跑到卡普亚(意大利城市.)去,把汉尼拔(迦太基统帅(公元前247—前183),曾长期与罗马作战.)和他的副将们,以及雇佣军的官兵都搂在怀里睡觉.大家列举了所有曾把自己的肉体作为战场.作为控制手段和武器来挡住征服者的女人,她们以悲壮的爱抚打败丑恶的或可恨的家伙,为了复仇和忠诚而牺牲自己的贞操. 他们甚至用隐晦的词句谈起一位英国的大家闺秀,她让自己染上一种可怕的传染病,准备传给波拿巴.在可能致命的约会时,拿破仑.波拿巴忽然虚弱无力,奇迹般地得救了. 这一切都说得恰当而有分寸,不时还发出一阵有意识的赞叹,旨在鼓励人去与她们竞争. 人们简直可以相信,归根结底,女人在世上的唯一职责是永远献出她的身体,不断地让大兵们任意玩弄. 两个修女似乎充耳不闻,陷入了深深的沉思.羊脂球始终一言不发. 整个下午,大家都让她考虑,不过不再像迄今为止那样称她"太太”,而只是称她为"小姐"了.谁也不清楚是为什么,似乎是要把她好不容易地获得的尊重降低一个等级,使她感觉到自己所处的不光彩的地位. 开始吃晚饭的时候,弗朗维先生又来了,重复着昨天晚上的话:“普鲁士军官让我问问伊丽莎白.鲁塞小姐,她是否还没有改变主意.” 羊脂球冷冷地回答说:“没有,先生.” 但是他们的勾结在吃晚饭时并不成功.卢瓦佐的几句话很不妥当.每个人都想找一些新的例子,却是白费力气,一无所获.伯爵夫人事先也许没有深思熟虑,这时模糊地感到需要向修会致敬,便问年长的修女,圣徒们一生中有什么丰功伟绩.其实许多圣人都犯过我们所说的罪行,然而只要它们是为了天主的荣耀或者他人的利益,教会就毫不费力地赦免这些大罪.这是一个有力的证据,伯爵夫人便加以利用.这样一来,不管是出于任何一个出家人都擅长的默契和不露声色的讨好,或者只是由于她正巧不聪明,有一种乐于助人的愚蠢,老修女都极为有力地支持了他们的阴谋.大家以为她胆小怕事,她却显得果敢顽强,说起话来滔滔不绝.她没有被决疑论的探索所干扰,她的教义坚定不移,她的信仰从不动摇,她的良心始终坦然.她认为亚伯拉罕(《圣经》故事中犹太人的始祖,曾想杀子祭天,被天使所阻.)的祭献十分简单,因为只要上天一声吩咐,她可以立刻杀死父母.在她看来,只要目的可嘉,无论做什么事都不会使天主生气.这个意外的同谋具有神圣的权威,伯爵夫人利用了这一点,让她对"只要目的是好的,可以不择手段"这个道德准则作大有教益的发挥. 她问老修女: “那么,我的嬷嬷,您认为只要有纯洁的动机,无论走什么道路.有什么行为,天主都是同意的了?” “谁会怀疑这一点,太太?一种本身应该受到责备的行为,常常由于它的动机良好而受到称赞.” 她们就这样一问一答,探讨着天主的意愿,预料着他的决定,让他去关心那些确实和他不大相干的事情. 这些话都不露痕迹,既巧妙又谨慎.但是这个戴着帽子的圣洁的修女,她的每一句话都在突破妓女的愤怒抵抗.接下去谈话有点儿离题,这个挂着念珠的女人谈起了她那个修会里的各个修道院,她所在的修道院的院长,她自己和她那娇小可爱的同伴.亲爱的修女圣尼塞福尔.她们奉命到勒阿弗尔的医院里去,照顾几百个染上了天花的士兵.她描述了这些可怜的人,详细地讲了他们的病情.这个普鲁士人为所欲为,让她们停留在半路上,而许多法国人可能就在这段时间里死去了,她们本来也许是可以救活他们的.照料军人是她的专长,她到过克里米亚.意大利.奥地利.在讲述参加过的战役时,她突然显得像那些大张旗鼓的修女,她们似乎生来就是为了追随兵营,在战火的硝烟中救起伤员,而且只用一句话,就能比长官更有效地驯服那些不守纪律的.高大粗野的军人.她是一个在战鼓声中成长起来的.真正的好修女,她的有无数疤点的麻脸,似乎是一幅表现战争蹂躏的画像. 她说完之后没有人再说什么,效果看起来好极了. 饭刚吃完,大家就马上回到房间里,第二天早晨很晚才下来. 午饭吃得很平静.他们要让昨晚播下的种子发芽结果. 伯爵夫人提议下午去散散步.伯爵便按照事先商定的那样挽着羊脂球的手臂,和她一起落在其他人的后面. 像一切庄重的男人对待妓女一样,伯爵用慈祥亲热.略带倨傲的声调和她说话,称她为"我亲爱的孩子”,以自己崇高的社会地位和无可置疑的声望来对待她.他立刻触及了问题的要害: “那么,您宁愿让我们留在这里,和您一样面临普鲁士军队失败后会干出来的种种暴行,而不肯通融一下,做一件您一生中有过无数次的事情?” 羊脂球一言不发. 他对她晓之以理,动之以情,用甜言蜜语打动她.他善于保持"伯爵先生"的身份,但必要时也会向女人大献殷勤,奉承恭维,总之是讨人喜欢.他称赞她会帮他们的忙,说他们将非常感激,接着忽然有点放荡地以"你"相称起来:“你该知道,我亲爱的,他将来可以吹嘘尝过一个漂亮姑娘的滋味,这样的美女在他的国家里可不多呢.” 羊脂球没有回答,追上了走在前面的那些人. 她一回去就走进自己的房间,再也没有出来.大家都极为担心.她会怎么做呢?如果她还是抗拒的话,那可真不好办了! 吃晚饭的钟声响了,大家白白地等着她.这时弗朗维先生进来宣布鲁塞小姐感到不大舒服,他们可以先吃.每个人都仔细听了他的话.伯爵靠近旅馆老板,声音很低地问道:“行了?““行了.“他得体地保持沉默,只是向同伴们轻轻地点了点头.每个人的胸脯里立刻发出一阵如释重负的叹息,脸上都显得兴高采烈.卢瓦佐喊着:“妈的!这家旅馆里要是有香槟酒,我就请大家喝.“等老板拿着四瓶酒回来的时候,卢瓦佐太太真是吓了一跳.人人都突然变得感情外露.喜欢吵闹,心里兴奋得把持不住.伯爵似乎发现卡雷—拉马东太太令人着迷,纺织厂主则对伯爵夫人大献殷勤.谈话活泼热烈,妙趣横生. 卢瓦佐忽然满脸焦虑,举起双臂吼道:“安静!“大家都吃惊地住了嘴,几乎有点吓坏了.这时他伸着耳朵,用双手示意别作声,向天花板上看着,又听了听,然后用平常的声音说:“放心吧,一切顺利.” 大家有点不明白他搞什么名堂,但立刻都暗暗地笑了起来. 一刻钟以后,他又把这出恶作剧演了一遍,在整个晚上还一再重演.他装作在询问楼上的某个人,向这个人提供一些从他这个旅行推销员的头脑里挖出来的.语意双关的建议.他不时装作愁眉苦脸地叹息:“可怜的女人哪!“或者气得要命地嘀咕,“无赖的普鲁士人,好!“有几次大家不再想到这件事的时候,他却用激动的声音嚷着:“行了!行了!“然后又像是在自言自语,“但愿我们还能再见到她,他可别把她搞死了,这个混蛋!” 这些笑话尽管拙劣,却使人觉得有趣,对谁都没有伤害,因为愤怒也像其他一样取决于环境,而在他们周围逐渐形成的气氛已充满了淫荡的念头. 在吃餐后点心时,女人们也说了一些具有暗示性的话,既风趣又谨慎.大家都眼睛放光,喝了许多酒.伯爵即使在吃喝玩乐的时候也保持着高贵庄重的外表,他说了一个很受欣赏的比喻:北极的冬季停航期已经结束,遇难者们兴奋地看到打开了一条通向南方的航道. 受到启发的卢瓦佐站了起来,手里拿着一杯香槟:“我为我们的解放干杯!“所有的人都站了起来,向他欢呼.就连两个修女也在太太们的怂恿下,同意在她们从未尝过的冒泡沫的酒里抿了抿嘴唇.她们认为这种酒很像柠檬汽水,不过味道更好. 卢瓦佐用一句话表达了大家的心情: “可惜没有钢琴,否则就能弹一支四对舞的舞曲了.” 科尔尼德没有说过一句话,连动都没动,倒像是陷入了极其严肃的思考,有时猛扯着他的大胡子,似乎想把它拉得更长一些.最后快到半夜的时候,大家要分手了.走路摇摇晃晃的卢瓦佐忽然拍了拍他的肚子,含糊不清地问他:“您不觉得有趣吗,您,今晚您就什么都不说,公民?“可是科尔尼德猛然抬起了头,用炯炯有神而又可怕的目光扫视着这群人:“我告诉你们所有的人,你们干的是卑鄙无耻的勾当!“他站起身来,走到门口,又重复了一遍,“卑鄙无耻的勾当!“说完便走了. 这等于是泼了一盆冷水,卢瓦佐起初狼狈不堪,呆呆地站着.但是他恢复了镇静,突然又笑得直不起腰来,不住地说着:“葡萄太酸了,老兄,葡萄太酸了.“他见大家摸不着头脑,便讲了"走廊里的奥秘”.这一下大家都乐不可支,太太们高兴得跟疯了一样.伯爵和卡雷—拉马东先生笑得直流眼泪.他们无法相信. “怎么!您有把握!他想……” “我告诉你们,这是我亲眼看见的.” “而她拒绝了……” “因为那个普鲁士人就在隔壁房间里.” “不可能吧?” “我向你们担保.” 伯爵笑得透不过气来.工厂主也一直用两只手按着肚子.卢瓦佐接着说: “你们明白了吧,今天晚上,他不觉得她有趣了,一点都没有趣了.” 三个人又大笑起来,像疯了一样,喘得直咳嗽. 接着他们分手了.可是卢瓦佐太太具有荨麻(多年生草本植物,茎和叶子上的细毛能引起皮肤刺痛.)的天性,上床睡觉的时候提醒她的丈夫,卡雷—拉马东太太这个小泼妇,整个晚上都在强颜欢笑:“你知道,女人要是看上了穿军服的人,不管是法国人还是普鲁士人,对她们来说,确实都是一样的.这难道不可悲吗?天哪!” 整整一夜,漆黑的走廊里都传出一些难以觉察的轻微声响,像战栗,像喘息,像光脚的轻触,像听不出的格格声.大家当然很晚才睡着,因为房门下面久久地透出灯光.香槟酒就有这种效果,据说它能干扰睡眠. 第二天,冬季明亮的阳光使白雪格外耀眼.马车终于套好了,在门口等着.一队白色鸽子裹着厚厚的羽毛,长着粉红色的眼睛.黑色的瞳孔,昂首挺胸,在六匹马的腿脚之间庄重地跳动着,啄开冒着热气的马粪,寻找着吃的东西. 马车夫裹着羊皮袄,在车座上抽着烟斗.旅客们喜气洋洋,很快就让人把旅途中要吃的食物包好了. 大家只等着羊脂球.她出现了. 她似乎有点局促不安,感到惭愧,怯生生地向旅伴们走去.他们却像视而不见,一起把脸转了过去.伯爵庄重地挽着他妻子的手臂,让她避开这种不干净的接触. 胖姑娘目瞪口呆地停住了.她鼓足勇气走近纺织厂厂主的妻子,谦卑地低声说"早安,太太”.对方只是无礼地稍微点了点头,同时却像一个被侮辱的贞洁妇女那样看了她一眼.每个人好像都很忙,都远远地躲开她,似乎她在裙子里带着一种传染病.接着大家匆匆忙忙地上车,她最后一个独自上去,默默地坐到她在前一段旅途中坐过的位子上. 大家好像没有看见她,不认识她,而卢瓦佐太太则出于义愤,远远地打量着她,低声对丈夫说:“我幸亏不坐在她身边.” 沉重的马车晃动起来,旅行又开始了. 起初大家一言不发.羊脂球不敢抬起眼睛.她既对旅伴们感到愤怒,又因为自己作了让步而被他们伪善地推到这个普鲁士人的怀里.被他的亲吻所玷污而感到羞辱. 但是伯爵夫人不久就打破了令人难堪的沉默,她向卡雷—拉马东太太转过身去: “我想,您认识埃特莱尔太太吧?” “不错,她是我的一个朋友.” “多么有魅力的女人啊!” “可爱极了!真是个出类拔萃的人,也很有学问,完全是个艺术家,唱得令人陶醉,画得也尽善尽美.” 纺织厂厂主在和伯爵交谈,不时有一个词儿从窗玻璃的震动声中冒出来:“息票……期限……手续补贴费……期货.” 卢瓦佐和他的妻子玩起纸牌来了,这副旧纸牌是他从旅馆里偷来的.旅馆的桌子都擦得不干净,所以这副已经玩了五年的纸牌上积满了污垢. 两个修女取下挂在腰带上的一长串念珠,一起划了个十字,她们的嘴唇忽然迅速地翕动起来,越来越快,像比赛念"祈祷文"那样含含糊糊地念念有词.她们不时地吻着一块圣牌,再划十字,然后又叽哩咕噜,迅速地念个不停. 科尔尼德沉思着,一动不动. 过了三个小时,卢瓦佐收起了纸牌,说:“饿了.” 于是他的妻子取下一个用绳捆扎的盒子,从里面拿出一块冷的小牛肉.她利落地把牛肉切成整齐的薄片,两个人便吃了起来. 伯爵夫人说:“我们也吃吧.“大家表示同意.她就打开了为他们两对夫妇准备的食品.那是一个长形的盆子,盆盖上装饰着一只陶瓷野兔,表示盆里盛的是一只野兔,上面涂着由鲜美的猪肉制成的肉糜,褐色的野兔肉和其他碎肉掺在一起,再布上一条条肥猪肉.一大块瑞士产的干酪包在一张报纸里,油乎乎的,使报上的"社会新闻"这几个字也印在面上了. 两个修女拿出一根有大蒜气味的香肠.科尔尼德也把双手伸进外套两边的大口袋,从一边拿出四个煮鸡蛋,从另一边拿出一段面包.他把蛋壳剥下来扔在脚下的稻草里,就咬着鸡蛋吃,浅色的蛋黄末落在他的大胡子上,好像一些星星. 羊脂球起床时由于匆忙和慌张,什么都来不及考虑.看到这些人若无其事地吃着,她十分恼火,气得说不出话来.她先是一阵狂怒,张开了嘴巴,要把涌到嘴边的一大堆侮辱的话用来痛骂他们,可是她气得哽住了,一句也说不出来. 谁都不看她,没有人想到她.这些人起初拿她作牺牲品,然后把她像没用的脏东西一样抛弃,她感到自己被这些正派的无耻之徒的蔑视淹没了.这时她想起了她的大篮子,里面装满了好吃的东西,他们曾贪婪地狼吞虎咽.她想起了那两只有一层冻汁的小鸡,她的肉糜.她的梨和四瓶波尔多葡萄酒.她的怒火忽然平息了,就像一根拉得太紧的绳子绷断了一样,她觉得快要哭出来了.她憋足了劲,像孩子似的拼命忍住呜咽,但是泪水涌上来,眼眶湿润了,两颗大滴的泪珠从眼睛里缓缓地流到面颊上.接连不断的泪珠更快地流下,像岩石里渗出的水珠,扑簌扑簌地落在她丰满高耸的胸脯上.她挺着身子,两眼发直,面孔冷峻苍白,希望人家都不看她. 然而伯爵夫人却对此有所觉察,并向她的丈夫使了个眼色.他耸了耸肩膀,似乎是说:“我有什么办法呢?又不是我的错.“卢瓦佐太太得意地暗笑了一下,悄悄地说:“她是因为羞愧才哭的.” 两个修女把吃剩的香肠用纸包好,又开始祈祷起来. 科尔尼德这时已吃完了鸡蛋,把长腿伸到对面的长凳下面,身子向后一靠,两臂交叉在胸前,像刚发现一个有意思的玩笑那样微笑着,用口哨吹起了《马赛曲》(法国大革命时期歌曲,1795年定为法国国歌.). 所有的面孔都沉了下来.他的旅伴们显然根本不喜欢这支人民的歌曲.他们变得烦躁.恼火,似乎要像听见手摇风琴的狗那样狂吠. 他看出了这一点,便吹个不停,有时连歌词也哼了出来: 对祖国的神圣的爱, 指引和支持我们复仇的手, 自由,珍爱的自由, 和你的捍卫者一起战斗! 雪地更为坚硬,车子也就走得更快了.在到达迪埃普之前的沉闷漫长的旅途中,随着路上的颠簸,无论是夜幕降临还是车内一片漆黑,他都以一种残忍的固执,吹着复仇的,单调的口哨,迫使那些疲倦而又恼火的人从头至尾地听着他的曲调,并且按照他吹的每个节拍想起相应的歌词. 羊脂球一直在哭泣.而有时在黑暗里吹出的两段歌曲之间,会响起一阵她没有忍住的呜咽.



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